Par Marcel Douyrou
Ce voyage a été effectué muni d’un laissez passer délivré par la Kommandatur. J’ignore dans quelle occasion, il nous a été délivré, il fallait des motifs sérieux pour obtenir ce précieux document. Peut être était ce pour rendre visite à mon grand-père gravement malade.
Nous prenons le train en gare de Bayonne pour aller à Pau.
En gare d’Orthez, tout le monde doit descendre du train pour la vérification des cartes d’identité, des documents délivrés par l’Occupant, la fouille des bagages. Orthez est la ville frontière, les voyageurs sont surveillés et dévisagés par de nombreux policiers Allemands en uniforme et en civil. Ces derniers sont facilement repérables grâce à leur imperméable mastic ou noir et leur chapeau mou. Ils traquent les Juifs fuyant la persécution, les résistants portant des documents, les aviateurs Anglais déguisés en modestes civils, tous les suspects à leurs yeux. Les policiers français traquent tous les trafiquants de marché noir, qui transportent dans leurs valises de la charcuterie, ou d’autres denrées, sucre café etc..
Je n’ai gardé de souvenir précis que du voyage de retour et de son arrivée en gare d’Orthez.
A notre arrivée, on nous fait descendre du train pour nous enfermer à clef dans la salle d’attente de la gare, pendant que la police vérifie les voyageurs à destination de Pau, plus nombreux qu’en sens inverse. Nous étions apeurés par les cris des officiers Allemands, les aboiements des chiens, les bruis de bottes des soldats..
Puis tout s’est calmé, nous avons entendu le sifflet de départ du chef de gare et le train démarrer lentement sans nous….. criant et tapant sur les vitres de la porte pour attirer en vain l’attention d’un employé de la SNCF ou d’un policier.
Dans la salle d’attente ma mère fait la connaissance d’une dame dans la même situation, accompagnée de ses deux filles, l’une plus jeune que moi, l’autre un peu plus âgée, toutes les deux très jolies. Elles arrivent de Pardies village proche de Monein et habitent Biarritz.
Nous attendons patiemment le prochain train omnibus pour Bayonne où nous arriverons à la tombée de la nuit. Tandis que le train roule lentement vers Bayonne, il se remplit à chaque petite gare de voyageurs très spéciaux, des Bayonnais de retour de la campagne où ils ont été se ravitailler. Les valises, les sacs et les paniers sont garnis de provisions, on ramène des Landes des bonbonnes de vin des Landes, certains voyageurs sont éméchés, ils chantent et rigolent. Mais le silence se fait à l’approche de Bayonne. Ils savent que des soldats Allemands les attendent ainsi que des policiers Français pour traquer les trafiquants de « marché noir ». Ils vont faire ouvrir les bagages et peut être confisquer la marchandise.
Le train ralentit progressivement sa vitesse à l’approche de Bayonne, le conducteur sait que les plus courageux qui veulent éviter la police, vont jeter leurs bagages sur le ballast et sauter du train en marche, pour se perdre dans la nature.
Enfin, arrivés à Bayonne, nous devons coucher à l’hôtel, car il n’y a plus de moyens de transport après le couvre feu, et de plus il est interdit de circuler la nuit.