St Pierre et Miquelon se situe à une vingtaine de kilomètres de Terre-Neuve, territoire canadien, à proximité des « grands bancs » de morue qui ont attiré les marins du monde entier…
La pêche du capelan (appâts) à Mirande (Miquelon) 1912-1913
A partir de la fin du XVIII° siècle, les populations de Bidart et Guéthary ont pu trouver dans cet archipel un nouveau souffle après la disparition du port de Bidart qui abritait 300 marins et une vingtaine de chaloupes. Leurs habitants et ceux d’Urrugne, Ciboure, St Jean de Luz, Sare, Ascain et Socoa ont bénéficié des emplois proposés par St Pierre et Miquelon, soit à terre dans le séchage des morues, dans les grèves, l’agriculture, le bâtiment, soit en mer à la grande pêche ou à la petite pêche. La compagnie basque Légasse en a fait sa base et son fief […]
La rade et le port de Socoa abritent des Terre Neuviers jusqu’à la moitié du XIX° siècle. Il y avait deux marchés à la morue : le marché européen et le marché antillais. D’ordinaire, le premier chargement de morue sèche, la morue « primeur », était débarqué à la Martinique ou St Domingue. Cette pêcherie était accompagnée d’une prime du gouvernement français et Bayonne tenait un rôle important à cause du sel nécessaire à la conservation des morues […]
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Salage et séchage de la morue
La compagnie Légasse, dernière compagnie de morutiers du Labourd.
La famille Légasse, originaire de Bassussary, est présente à Terre Neuve depuis le XVII° siècle selon M.Lacroix (La Grande Pêche). Le père de Louis Légasse se serait perdu sur la “Jeune Française” en 1873 en se rendant à St Pierre. Louis possédait un comptoir à St Pierre et Miquelon et une flottille de plusieurs voiliers. En 1890, avec ses deux frères Armand et Martin, ils créent la société “La Morue Française” qui a armé, en une seule campagne, jusqu’à 37 navires avec 40 hommes d’équipage à bord. Il y avait une agence à Bayonne, Bordeaux, St Malo, Fécamp, Marseille et Port de Bouc. Des centaines de pêcheurs du Pays Basque et d’ailleurs ont navigué chez Légasse.
Cette famille prend part à la naissance en 1927 de la prestigieuse PSYBE de Pasajes, le roi Alphonse XIII en étant le principal actionnaire. En 1935, Ferdinand Légasse, petit fils de Louis, crée la Compagnie Générale de Pêche, armée au chalut, avec le débarquement et le séchage des morues à Bègles. En 1945, “Zazpiak bat”, dernier fleuron de la flottille Légasse disparaît à Marseille, dans un incendie […]
La vie sur les morutiers goélettes
La goélette est le voilier type de l’archipel de St Pierre et Miquelon à partir de 1763.
Vers 1830, une quarantaine de goélettes coloniales sont armées à St Pierre et Miquelon, puis leur nombre ne cesse d’augmenter pour dépasser les 200 au début du XX° siècle. Parallèlement à cet essor, de plus en plus d’armements métropolitains (la plupart granvillais ou malouins), arment des goélettes locales, ouvrent des comptoirs à St Pierre et obtiennent des concessions de graves de l’archipel afin de faire sécher les morues capturées sur les Bancs. Vers 1900, au début de chaque printemps, de gros vapeurs amènent de France des graviers, mais aussi pas moins de 3000 matelots recrutés dans la région de St Malo et qui constituent 80 à 90% des équipages des goélettes locales, chacune armée de six doris et d’une quinzaine d’hommes.
Chacun de ces voiliers rentre à peu près tous les mois au Barachois livrer la pêche effectuée sur les bancs. Celle-ci peut être directement chargée sur un bateau chasseur qui l’apportera aussitôt dans un port métropolitain, en particulier Bordeaux.
Les nombreux sinistres qui déciment cette flotte de goélettes de 1901 à 1908 (24 victimes de naufrages sur 151 voiliers en 1904), l’abandon du “French Shore”, la succession de pêches médiocres sur les bancs entraînent le déclin de cette activité. En 1914, ils ne seront plus que 24 voiliers St-Pierrais armés à la grande pêche.
1924-25 Embarquement de barils de capelan |
1924-25 Le Barachois enclavé par les glaces
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La vie d’esclave sur les chalutiers
Une vingtaine de chalutiers sont envoyés à Terre-Neuve en 1909, plus d’une trentaine en 1920. Dès lors, la lutte tourne à l’avantage des vapeurs au détriment des trois-mâts et des goélettes. Equipés d’un moteur, les grands chalutiers mis en service vers 1930 ont un rendement moyen quatre à cinq fois supérieur à celui des voiliers. Sur ces navires, qui ont un équipage de 40 à 60 hommes, on prépare la morue à la main, toujours de façon classique. Bien que mieux nourris que sur les trois-mâts, les matelots ont encore des conditions de travail très pénibles, dénoncées par le Révérend Père Yvon : “Le chalutier libère le marin du travail du boêtage des lignes, du halage et des dangers des doris ; mais, loin d’alléger son sort, il ne fait que l’accabler. A Terre-Neuve, la machine n’est pas le serviteur de l’homme, c’est l’homme qui est l’esclave de la machine. La machine peut travailler nuit et jour, l’homme travaillera nuit et jour. Ce sont les travaux forcés sans discontinuité tant que le poisson donne ; et l’abondance du poisson est parfois telle qu’elle ne laisse aux hommes que sept heures de repos par trois jours. Aussi n’est-il pas rare qu’ils titubent de fatigue et de sommeil. Et dire que sur certains chalutiers, l’équipage comprend une vingtaine de jeunes gens de moins de 20 ans ! Pauvres enfants !
1912- 1913 Une ferme à Langlade |
1890 – Quai de St Pierre |
La surpêche et la fin de la morue avec les navires usines
Les navires usines de haute technologie suppléeront ces chalutiers, les machines remplaceront les matelots pour le traitement des poissons et les congélateurs se substitueront au sel. Mais, dans les années 1970-1980, les flottilles de ces bateaux ultramodernes, guidées par des impératifs financiers, ont vite fait de surexploiter l’océan. A Terre-Neuve, de gigantesques chaluts raclent, et raclent encore les fonds de l’océan, faisant une razzia sur les morues qui n’ont même plus le temps de se reproduire. Conjuguée à d’autres facteurs (changement climatique, prolifération des phoques, pollution…), cette surpêche aura raison des bancs de poissons. En 1992, les canadiens devront décréter un moratoire en raison de la raréfaction de la morue, un poisson qui, pendant cinq siècles avait fait vivre des centaines et des centaines de milliers de pêcheurs et d’habitants du littoral…
L’activité de pêche y est aujourd’hui plus que réduite, mais la population est fière de ses racines basques qui ont été ravivées lors du centenaire de la construction du fronton place libre, cœur de l’archipel, en août 2006. Il y a, à l’île St Pierre, 6000 habitants et 600 à celle de Miquelon, dont plus de la moitié sont des Detcheverry.
Extrait de « Altxa Mutillak », le magasine des jeunes pêcheurs basques
Mikel Epalza – Association Itsas Gasteria