Petits métiers d’avant guerre

Durant les années 1930 à 1937, j’ai passé mes premières années d’enfance, seul auprès de ma mère, mes frères plus âgés que moi poursuivant leurs études dans les collèges.

J’ai grandi dans un cadre simple et sans confort, mais où il faisait bon vivre.

 Je me souviens qu’une fois par an, toujours à la même époque ma mère recevait la visite d’un colporteur spécialisé dans la vente d’extraits de plantes. Ce personnage, d’aspect typique avait un grand chapeau et une blouse en toile écrue foncée. Il était harnaché tout autour de son corps par de nombreux petits récipients d’où s’émanait une forte odeur particulière, parfumée et variée.

Quand l’époque de son passage approchait, ma mère attendait impatiente sa venue car son stock d’extraits était alors au plus bas.

Elle avait l’habitude de lui faire une petite commande d’extrait d’anis, de gousses de vanille, d’alcool de menthe et d’eau de fleur d’oranger. Ces fournitures étaient destinées à la fabrication de pâtisseries et surtout de délicieuses crêpes que ma mère aimait façonner dans le courant de l’année pour toutes bonnes occasions.

Toute affaire conclue, ce monsieur avait droit à une tasse de café. Ma mère qui était complètement isolée d’informations, sans journaux, sans radio, ni télévision,  pouvait alors interroger dans cet instant ce monsieur sur tout les événements qui se passaient, car circulant en permanence  dans toute la région celui-ci connaissait beaucoup de monde. Il devenait alors à mes yeux comme un vrai journaliste ambulant.

 Un autre personnage marqua mon enfance. Tous les deux jours, vers sept heures du matin, Julie la laitière, arrivait avec sa cruche en métal argenté. Levée chaque jour avant l’aurore pour assurer la première traite de ses vaches, elle entamait ensuite sa tournée journalière.

Petit bout de femme, dynamique et sympathique, c’était la fidélité même, elle portait en elle la joie de vivre arrivant en même temps que le  lever du soleil, pour nous livrer son bon lait tiré de la veille au soir. Discutant elle aussi sans se faire prier des évènements du quartier, elle laissait en confiance son âne et sa carriole remplie de plusieurs cruchons devant notre porte, dans l’attente de livrer ses prochains clients.

Ma mère lui payait sa note en menue monnaie une fois par semaine.

Dès son départ, nous préparions notre grande casserole de deux litres de lait, que nous faisions cuire sur le feu de la cuisinière à bois. Refroidi, le lait avait produit au dessus une épaisse croûte de crème. Avec l’autorisation de ma mère je retirais celle-ci pour la mettre dans une boîte métallique vide de « Phoscao » (marque d’un petit déjeuner au cacao) en attendant d’ajouter la crème du lendemain. J’avais alors le droit de faire mon beurre en battant de nombreuses minutes la boîte de crème pour extraire le petit lait. C’était délicieux et original.

 Une autre personne apportait à ma mère compétence et travail bien fait ; Je veux parler de la couturière en maison.

Deux  à trois fois par an, ma mère prévoyait la venue pour deux ou trois jours de la couturière de maison, elle était nourrie et logée durant son séjour et faisait un peu partie de la famille. Celle-ci, très demandée, était retenue plusieurs semaines à l’avance. En attendant cette période, ma mère se procurait toutes sortes de tissus et de fournitures, en prévision des jupes, robes, tabliers ou culottes de garçon qui seraient proposés en confection à la couturière. Il fallait prévoir d’avance pour que cette travailleuse puisse occuper son activité à plein temps.

 Dès son arrivée, notre cuisine devenait un important atelier de confection, qui sentait l’odeur du tissus neuf, animée des bruits particuliers de la  machine à coudre à pédale «Singer» que mon père avait offerte avant sa disparition à maman et dont elle était si fière.

Pendant tous ces jours, ma mère devenait alors soit la cuisinière, soit la petite main de la couturière responsable. Tout cela dans une agréable ambiance silencieuse ou agrémentée par diverses conversations entre femmes qui se comprenaient.

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