Je suis né en 1917, pendant la guerre. Toute ma jeunesse je l’ai passée dans le nord à Asq, qui est devenu Villeneuve d’Asq. Il faut savoir qu’Asq était mitoyen avec un patelin qui s’appelait Hanappe. Et Hanappe a disparu pour former Villeneuve d’Asq. Hanappe était en réalité la propriété du Comte de Montalembert. Il avait pratiquement toutes les maisons, les terrains de ce village. C’était immense, une propriété comme on en voit plus. Le nord ce n’était pas très joli, on voyait des terrils de mine, et des installations minières. Il y avait des corons, des habitations de mineurs. Ils étaient mineurs de père en fils.
Moi, je viens d’une famille aisée. Ma mère n’a jamais travaillé, car elle était la petite fille du créateur de l’école nationale de Roubaix. À cette époque ma famille paternelle et maternelle avaient un certain niveau, une certaine aisance, qui ont disparus durant la guerre. On est devenu des gens moyens. J’ai fait des études modestes. J’ai eu le certificat d’étude, et l’année suivante le certificat complémentaire. Ensuite j’ai continué en professionnel, ou je suis sorti de l’EPIL, l’école professionnelle des industries lilloises, avec un diplôme de mécanique, et un diplôme de mécanicien d’aviation. Pour anecdote, j’ai failli rater le concours d’entrée, et j’ai été major de ma promotion un trimestre. Ensuite, j’ai bricolé un petit peu, et je suis parti comme mécanicien dans un aéroclub, le club des avions légers des Flandres, ou j’ai passé plusieurs années.
A 18 ans, je me suis engagé. J’espérais faire une carrière militaire. Mais au final, j’ai été très vite dégoûté. J’étais mécanicien, et c’était pour faire de la mécanique. Mais quand on a eu les avions modernes, la mécanique consistait à pousser les avions sur les pistes, faire les pleins d’essence et d’huile, point final. La vraie mécanique c’était pour les autres spécialistes des différentes sociétés, selon que l’on avait à faire au train d’atterrissage ou aux cellules. Alors j’ai dit ça c’est terminé, je me suis fait démobilisé. Je suis donc reparti dans le civil, et je suis rentré chez Potez, comme mécanicien naviguant. J’y ai travaillé quelques mois, parce que c’était la période de démobilisation et de mobilisation de la guerre 40.
La guerre de 40, je l’ai faite comme tout le monde, dans l’aviation et elle m’a conduit à Arudy. J’ai trouvé la région très agréable quand je suis arrivé. Avec les autres soldats on était désœuvrés, il n’y avait qu’une solution, c’était de taper le carton. Comme avec deux ou trois collègues ça ne nous amusait pas, on regardait autour de nous, et on voyait les montagnes. La première que j’ai vu c’était le Rey de Louvie. Alors avec les copains, on a dit : allez, qu’est ce que l’on fait ? Ça à l’air bien là haut, on y va ? » ; Et le lendemain, nous sommes partis. Mais on était des néophytes, on est monté tout schuss. Inutile de dire que ce n’est pas passé tout seul pour retrouver le chemin du retour qui menait à Louvie. Par la suite, j’ai fait beaucoup de montagne après avec ma femme, de la zone de Gavarnie à celle du trône des rois. On a, à peu près fait les principaux sommets, mais cela sans escalade. Ce que j’aimais dans la randonnée, c’était de prendre des photos et me balader dans la nature. Mais on n’a pas seulement effectué des balades en montagne, on en a aussi fait dans la région. J’ai cherché à rester dans le coin, je me suis fait démobiliser et j’ai trouvé des bricoles à faire.
Par l’intermédiaire d’amis, je suis rentré chez Messier à Arudy au laboratoire. Je me suis marié le 30 janvier 43, j’étais fiancé en 42. Ma rencontre avec ma femme est toute simple. J’avais une chambre, mais je devais aller manger le midi et le soir par ci par là. J’avais un collègue qui était en pension dans une famille, à coté du laboratoire, il devait partir alors je lui ai demandé comme c’était un bon copain s’il ne pouvait pas me trouver une chambre dans sa pension. J’ai donc réussi à m’arranger avec les propriétaires de la pension, c’est à dire les parents de ma future femme. Je l’ai rencontré en étant pensionnaire chez ses parents. On est assez vite tombé amoureux. A Messier, j’ai gravi tous les échelons, j’ai terminé comme contremaître. Ensuite, l’usine Messier est repartie à Courbevoie. A cette époque j’avais fondé une famille, et ma femme avait un emploi ici. Je ne voulais pas changer de métier, je suis resté par ici. J’ai eu deux filles, qui sont mariées. L’une est à Beuste, et l’autre à Bordères. Une de mes filles a eu deux enfants, une fille et un garçon. Ma petite fille a eu à son tour deux enfants, alors maintenant on est trois générations, et on nous a baptisé papiotte et mamiotte.
Puis, j’ai encore bricolé un peu dans ma vie professionnelle. Et un beau jour, j’ai été professeur technique adjoint. Je donnais deux heures de cours de technologie par semaine, et le reste du temps, on était à l’atelier. Je voyais passer les classes les unes après les autres. Là aussi, j’ai été dégoûté du fonctionnement. A la fin de l’année scolaire, j’ai dû m’arrêter, et je suis revenu à Jurançon, où j’habitais. J’ai reposé une demande pour être professeur, parce que je savais qu’à St Cricq (lycée palois) il y avait un poste. Et là, j’ai appris que j’étais nommé à Ribérac, et qu’un bonhomme de Ribérac, qui avait une avance sur moi, était lui nommé à Pau, ça m’a dégouté.
J’ai été voir un ami qui était ingénieur à Turboméca. Je me suis présenté et j’ai été embauché comme préparateur de 1952 à 1977. Préparateur c’est un métier très prenant, qui consiste à mâcher le boulot pour les autres : c’est à dire que le bureau d’étude, faisait une étude et des plans d’un nouvel appareil, elle confiait ce plan à la direction production, qui le donnait à un préparateur, un chef de section préparation. On travaillait toujours en équipe, le préparateur décortiquait les plans, et on passait voir les dessinateurs. Après avoir discuté, on établissait les gammes de fabrications. A mon époque on les faisait à la main, maintenant c’est à l’ordinateur. Sur ces gammes était déterminé le débit de matière, et ensuite on déterminait toutes les opérations : ébauche, traitement thermique, contrôle, perçage, fraisage, tout ce qu’il y avait à faire pour qu’à la fin de la gamme, il y ait marqué « pièce finie ». Le volume de pièce finie, et arrivée au magasin déterminait si on était un bon préparateur ou pas. Ça, je l’ai fait jusqu’en 77. Puis, on a eu une politique qui disait que les vieux devaient laisser la place aux jeunes. On a d’abord proposé à des volontaires de partir, comme les propositions étaient alléchantes, mais qu’elles ne dureraient pas je suis parti tout de suite. Après, j’ai traîné ma retraite en faisant des bricoles pour moi, j’ai fait tout ce que fait un retraité.
Avec ma femme, après avoir vécu à Jurançon chez mes beaux parents, à Pau rue Henri Faisans, à Bénéjacq pendant 17 ans, on est parti dans les Landes à Saugnac-et-Cambran, un des derniers villages avant d’arriver à Dax. Nous avions une maison là-bas, plutôt que de la louer, on préférait y vivre. J’étais en à peu près bonne santé, et puis mes problèmes de vue, et de cœur sont arrivés. Alors, mes enfants nous ont trouvé un appart sur Nay, rue Saint Vincent derrière l’église. La santé de ma femme ne s’est pas améliorée, la mienne s’est sérieusement détériorée, alors on a décidé de rentrer en maison de retraite. On voulait venir à Saint Joseph. Ici, on est bien, c’est impeccable. On a nos filles sous la main, mais on essaye de ne pas interférer, elles ont leur vie, on a la nôtre.