Je suis d’une famille de quatre enfants, deux nés avant la guerre et deux pendant la guerre. Mon plus fort souvenir est un souvenir de la guerre, car nous habitions aux portes de Bordeaux en zone occupée, avec un camp de munitions dans la commune, et chaque fois qu’un avion passait nous avions tous très peur que le camp de munitions saute. Dans ces moments là, tout le monde se jetait sous les tables ou on se protégeait comme l’on pouvait.
Je suis la deuxième des quatre, une sœur plus âgée, un frère et la petite dernière.
Mon père part donc pour la guerre, j’avais trois ans, ainsi je suis allée à la garderie comme l’on disait alors, car ma mère travaillait en usine.
Un jour je suis tombée malade à l’école, la directrice a appelé le docteur, et c’est le docteur allemand qui est venu. Il m’a donné des médicaments et m’a fait manger une banane car j’avais très faim. A ce moment là il y avait les tickets d’alimentation et l’on ne mangeait pas à notre faim.
Notre père venait de temps en temps, et il nous disait toujours : « Quand le voisin vous donne quelques chose à manger, il faut nous le faire voir avant de le manger. » (Le voisin était un allemand). Tous les adultes faisaient très attention à tout, puisque des chambres étaient réquisitionnées pour ces messieurs dans chaque maison. Un jour ce voisin nous a demandé pourquoi on ne mangeait pas le chocolat, alors nous lui avons répété ce que notre père nous avait dit. Et en suivant quand notre père est revenu, notre voisin allemand lui a dit : « Moi aussi j’ai trois enfants au pays et ils me manquent beaucoup, alors les votres sont un peu comme les miens, je ne leur ferai aucun mal ».
Et puis, il y a eu la petite sœur qui est arrivée en avril 1942, mon père partait toujours et un dimanche matin notre petite sœur est décédée, c’était le 27 février 1944, alors mon père est rentré et n’est plus reparti. On était tous les trois très heureux, enfin papa à la maison ! Mais pas de travail, et moi toujours malade. J’avais très peur de mourir comme ma sœur, mais mon père me disait toujours : « Mais non, tu ne vas pas mourir. »
Ensuite mon père a trouvé du travail en pleine forêt pour abattre des pins et les débiter en planches pour faire des parquets, mais cela était assez loin de chez nous, donc on a quitté le village et l’on est partie avec lui au milieu de la forêt, à trois kilomètres de la route et à deux kilomètres du village sur cette route. Par conséquent, plus question d’aller à l’école.
Quant à moi, cette idée de mourir était toujours présente dans ma tête, car le décès de ma sœur m’avait fait très mal, et aujourd’hui cela m’arrive d’y penser encore et ça me fait très mal. A la maison personne n’en parlait jamais, et le temps a passé. Mais deux ans avant de mourir mon père nous en a reparlé, en nous demandant si on s’en souvenait, alors chacun de nous lui à dit son souvenir. Moi j’ai raconté le décès de ma sœur, car je m’en rappelle comme si c’était hier, cela m’a beaucoup marqué, j’en voulais beaucoup à cette guerre et à ses occupants, car j’avais l’impression que si ma sœur n’était plus là c’était leur faute, alors qu’ils n’y étaient pour rien.
Pour manger un peu plus, mon grand-père maternel nous laissait la moitié de son pain une fois par semaine. Quand on a été plus grand, ma sœur ainée, mon frère et moi ont a été très reconnaissant envers eux pour tout ce qu’ils ont fais pour nous, car sans eux, où serions nous aujourd’hui ?
Quelques années plus tard : la guerre d’Algérie, où mon frère est parti en tant que militaire. Et la peur de la guerre a ressurgie, j’avais peur qu’il y trouve la mort. Il est revenu blessé, mais en vie après 3 ans d’hôpital militaire (Paris et Bordeaux), blessé mais en vie ! Mais la vie pour lui n’est plus facile…
Aujourd’hui entre frère et sœurs, on est très unis, puisque nous n’avons plus grands-parents et parents.
Mon récit est triste mais c’est celui qui m’a marqué le plus dans ma vie.
A ce jour je suis veuve, maman et grand-mère, et je suis très fière de mes deux enfants, un garçon et une fille et de mes quatre petits enfants, trois filles et un garçon. Surtout qu’une petite fille (23 ans) et son frère (19 ans) sont très proches de moi, ainsi que ma fille, je les adore tous et je fais tout se que je peux pour leur faire plaisir.