Mémoires de mon grand-père – II – La Grande Guerre

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Je partis donc pour la guerre le 29 septembre 1915, mobilisé à Mont-de-Marsan, où je fis mes classes avec mon frère Georges. Puis je fus affecté comme auxiliaire dans un régiment de « territoriaux » dans le Cantal, dans des forêts de sapins, en montagne, pour faire tomber des arbres pour l’armée combattante (bois de soutènement, pieux, caillebotis etc…) pour les tranchées. Malheureusement il fallait des hommes en 1ère ligne, car cette maudite guerre, grande dévoreuse d’hommes en faisait une grande consommation. Nous fûmes pris mon frère et moi pour la 1ère Armée, lui au 18ème Dragon à cheval et moi au 140ème Régiment d’Infanterie de Montagne à Grenoble. Je fus ensuite caserné quelques temps à Belfort (Caserne « Vauban »).

 

Cartes postales anciennes de MassigesEt assez vite je fus dans la grande tourmente, balloté de l’Alsace à la Belgique, j’ai parcouru tout le front, là où ça faisait besoin. Je peux dire que j’ai connu tous les fronts où ça chauffait. Je faisais partie d’un régiment-bataillon de marche ; nous nous déplacions très souvent pour colmater les brèches là où il fallait renforcer ou arrêter les attaques : Bois de Malmaison, Champagne, Verdun, Ardennes, Mont Kemmel, pour finir devant Dombasle, le jour de l’armistice, où nous étions armés jusqu’aux dents, et prêts à attaquer.

 

Pendant ces 34 mois de guerre, on peut dire que j’ai eu beaucoup de chance. Une seule bronchite (broncho-pleurésie) pendant le rude hiver de 1917, et légèrement gazé aux yeux au début de 1918. Mais plusieurs fois miraculeusement sauvé – au sud de Verdun, devant Prône, un obus s’est désamorcé sur un bout de rail, au-dessus de moi à l’entrée d’une … La fusée de l’obus s’étant séparée au contact du rail sans faire éclater l’obus, un gros qui nous aurait tous anéantis. Une autre fois, en Artois, un shrapnel (boule d’acier) se logea dans mon dos (légèrement) parce que la boule d’acier avait été amortie en traversant la semelle d’un godillot de réserve fixé sur mon sac alors que j’étais allongé derrière un petit monticule et que nous tirions en tirailleurs sur les allemands qui attaquaient derrière un déluge d’obus de toutes sortes, fusants de gros calibres et 88 autrichiens, enfin un véritable enfer. Nous avions eu beaucoup de pertes mais seuls les petits postes qui avaient été sacrifiés avaient pu être atteints par l’ennemi qui avait dû avoir des pertes considérables car toutes les vagues d’assaut que l’on voyait très bien de la hauteur où nous nous trouvions, n’avaient jamais pu dépasser les premiers petits postes. Cela d’ailleurs n’avait duré que 24 heures à peine.

 

J’ai failli être tué une autre fois, au Mont Kemmel. J’étais en train d’écrire dans un trou lorsqu’un fusant éclata au-dessus de ma tête et un gros éclat d’obus me traversa tout le bloc de papier que je tenais sur mes genoux. Il avait manqué ma tête de peu. Beaucoup de mes camarades sont tombés à côté de moi. J’ai tenu dans mes bras de grands blessés, blessés à mort, qu’il fallait encourager jusqu’à ce qu’un infirmier vienne les chercher. Il m’est arrivé aussi de déterrer des camarades enterrés par un obus, et la jambe de l’un, qui apparaissait me resta dans les mains, entièrement détachée du corps. Je redis encore que j’ai eu beaucoup de chance au milieu de cette boucherie atroce.

Ce fut aussi un total changement dans ma vie. Le métier forcé de soldat et de guerrier fit murir et développer mon intelligence. J’appris beaucoup de choses, étant en contact avec toutes les classes de la société. J’ai pu apprendre à connaître toute sorte de gens et cela m’a tout de même servi à quelque chose. J’ai appris à connaître la mort de près et l’affreuse angoisse des blessés à mort qui s’accrochent à vous désespérément et qu’il faut encourager. C’est l’épreuve la plus terrifiante que j’ai retenu de la guerre et cela m’a permis d’endurer mes pires craintes pour moi et les pires souffrances.

Aussi étais-je devenu antimilitariste résolu et lorsque, à la démobilisation, on m’a demandé de rempiler avec le grade de sergent, j’ai refusé. J’étais déjà caporal, nommé sur le champ de bataille pour l’entrain et le moral donné aux autres – j’étais le boute-en-train de ma section – à 20 ans on ne pense qu’à vivre joyeusement – et beaucoup de mes camarades avaient d’autre soucis que moi. Ils étaient ou fiancés ou mariés ou pères de famille alors que moi j’étais célibataire et sans attache sentimentale. Mais malgré que je n’eusse aucune situation valable, je ne voulais pas être militaire. Je n’en avais ni l’aptitude ni le désir. Je n’avais pourtant pas de situation. Je n’avais aucun métier, puisque j’étais domestique de ferme avant de partir, ce qui n’est pas un métier.

10 juin 1917, à l’occasion d’une permission (manque Georges, au front) 1er rang : André, Paul (le papa), Girons (le grand-père maternel), Pauline (la maman) et Pierrot 2ème rang : Aurélie, Maurice, Gabrielle, Gaston, Fernand.

Aussi, aussitôt qu’une circulaire demanda des employés de chemin de fer, j’ai saisi l’occasion. Et c’est aux environs de Metz, où j’étais cantonné, que me parvint la convocation de me rendre à Bordeaux, siège de la Compagnie du Midi (P.O.Midi) où l’on m’affecta à Laluque que j’avais demandé, étant le patelin le plus proche de Castets où j’avais mes parents, frères et sœurs. J’allais avoir 23 ans. Ce fut le grand tournant de ma vie d’homme et une des grandes chances de ma vie. Ca me changeait du régiment et même de tous les métiers que j’avais faits jusqu’alors. J’avais au moins un emploi stable jusqu’à la fin de mes jours. Aussi c’est avec conscience et dévouement que je m’adonnais à mon métier. Mieux que quiconque je pouvais en apprécier la valeur (sécurité de l’emploi). Car jusque-là ma vie avait été ballotée et plus ou moins heureuse.

 

Jean « Maurice » Birebont

à suivre…

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