Elyse :
J’allais, enfant, faire moudre le blé au petit moulin chez le charron. Le charron devait se payer en grains ou en farine. A la maison, on m’avait dit : « tu y restes pour le regarder et le surveiller. Et lui il me disait : Va voir Anna, elle va te montrer des photos ou te raconter des histoires. J’obéissais, et après, à la maison, on se rendait compte qu’il s’était bien servi. « Qué sey pla serbit ! » Il profitait de mon absence pour augmenter la « pugnère ».
Marie, Alice, Elyse, Janette :
Pendant la guerre, les maquisards, qui étaient des jeunes du village et des environs, vivaient dans le bois du chemin Tuquet et restaient dans une vieille grange. Ils se cachaient et essayaient de constituer un groupe de volontaires avec des gens d’Oloron. Ils étaient ravitaillés la nuit. Une nuit, Mme Ticoulat avait frappé à la porte de notre maison Peyran pour voir si les Allemands étaient par là. Elle avait pour mission de renseigner le maquis. Je me souviens de ces visites nocturnes qui m’inquiétaient beaucoup.
Pendant la guerre de 39 – 45, même si nous étions en zone libre, les allemands sillonnaient notre village et nous effrayaient. Nous sentions la présence de la guerre omniprésente, d’autant plus que nos grands parents et nos parents avaient combattu durant 14-18.
Un vendredi matin, alors que j’avais 20 ans, ma mère et ma grand-mère étaient parties au marché pour vendre quelques volailles et quelques légumes. Les hommes devaient être au champ puisque j’étais seule dans la maison. Mon cousin, Louis Bonelli, qui avait deux ans de moins que moi, est entré dans la cuisine pour me voir et chercher quelque nourriture pour le maquis. Il portait son brassard FFI au bras et en était très fier. Soudain, nous entendons taper à la porte d’entrée. C’était deux allemands. Louis s’arrache le brassard et le lance rapidement dans le four à pain situé dans la cheminée. Il cache aussi sa mitraillette, juste derrière la porte. Il s’assoit l’air de rien. Ces messieurs avaient repéré un jambon pendu dans la cuisine et ils m’ont proposé de l’acheter. Mes parents étant absents, j’ai refusé poliment en tremblant de tous mes membres. Ils s’en sont allés mais cette peur ressentie ce jour là, a hanté mes nuits, longtemps.
Graciette vivait près de l’école. Elle était pauvre, ne se coiffait jamais, et sentait très mauvais ; elle ne se lavait jamais non plus. Elle allait tous les jours dans le bois chercher un fagot pour son feu. Les enfants de l’école s’amusaient à lui cacher la corde qu’elle utilisait pour ses fagots. C’était des farces que nous faisions à l’insu de l’instituteur qui nous aurait bien corrigés s’il nous avait vus.
Le jour du pèle porc, tout le monde travaillait. Tout se faisait au feu de la cheminée. Le chaudron pendu ou posé sur le trépied. Les légumes pour cuire le boudin étaient préparés la veille – ail, oignon poireaux, carottes, thym – Je me souviens que le jour même, aussitôt que les hommes avaient ouvert le ventre du cochon, les femmes allaient laver les boyaux. On emmenait tout dans une bassine à la fontaine de chez Bidalot. L’eau était glacée. Les odeurs qui se dégageaient étaient très fortes, mais cela était vite oublié quand on mangeait les premières saucisses ou les premiers boudins
Le mariage impliquait en général, que l’on quitte son domicile et que l’on parte vivre dans la famille du conjoint. Pour ma part, cela fut une rude épreuve ; qui dura bien longtemps. Dans la famille de mon époux, trois générations vivaient ensemble. Les grands parents, mes beaux parents, tous les frères de mon mari, et nous, le jeune couple. C’est ainsi que brutalement, je me retrouvais à devoir « servir » les anciens ainsi que les frères qui avaient été habitués à se mettre les pieds sous la table… Les femmes ne travaillaient pas en ce temps là et restaient à la ferme tout le jour. Le labeur ne manquait pas. Les journées étaient longues et harassantes. Quand on rentrait des champs, il fallait s’occuper des bêtes, des volailles, et aussi faire les repas pour tout le monde. Les cordons de la bourse étaient tenus par les parents. Seules quelques ventes de légumes ou de volailles provenant du marché hebdomadaire à Oloron, nous procurait de l’argent de poche. La vie n’était pas facile, certes, mais nous comptions les uns sur les autres et quand il y avait des coups durs, toute la famille faisait front.