Jamais je n’oublierai le jour de septembre 1939 ou les cloches se mirent à sonner à toute volée annonçant la guerre entre la France et l’Allemagne. De plus, ce jour là c’était les obsèques d’un jeune cousin de 11 ans. Pendant le trajet entre sa maison et l’eglise, les hommes parlaient entre eux. Ils disaient qu’ils partaient le soir ou le lendemain rejoindre leur point de rattachement.
Ils allaient faire la guerre, défendre notre pays et peut-être ausi mourir pour la France. Au chagrin de perdre un jeune garçon s’ajoutait celui de voir partir les hommes de la famille et de la commune.
A la ferme la vie a suivi son cours. Mon père blessé de la guerre 1914-1918 et trop agé, n’était pas mobilisé.
Les femmes et les enfants ont remplacé les hommes partis sous les drapeaux pour faire les travaux des champs.
J’avais 11 ans, j’habitais le petit village de Serres-Castet lorsqu’un jour je vis défiler devant ma maison de nombreuses charrettes chargés de gens, de baluchons, de matelas. Ces adultes et enfants, réfugiés de Frémery, petit village de Moselle venaient s’installer en Béarn jusqu’à la fin de la guerre.
Pour moi, qui n’avais jamais voyagé, je dis à mes parents que ce gens avaient de la chance. Je reçus un gifle de mon père qui m’expliqua pourquoi ces habitants de l’Est de la France avaient dû quitter leur maison et leur village.
Toutes les maisons inoccupées de Serres-Castet furent aménagées pour que les familles de réfugiés puissent s’y installer.
Tant bien que mal nous avons accueilli tout un village lorrain. Les enfants vinrent à l’école et au cathéchisme avec nous. Les Hommes valides travaillèrent dans les fermes pour aider aux travaux des champs. Les femmes faisaient la cuisine, tricotaient, cousaient et parfois partageaient avec nous les bonnes pâtisseries de leur région. Malgré leur chagrin ils vécurent avec nous les jours de fête, nous échangions nos coutumes, nous vivions « heureux » en zones libres.
En Béarn, nous n’avons pas souffert de la faim pendant la guerre. Les légumes, les volailles, le cochons nous nourrisssaient et aussi nous permettaient de faire des échanges avec les gens de Pau qui nous fournissaient les habits, les chaussures, le tissus, ou encore la laine.
Entre 11 et 15 ans j’ai donc connu la guerre et toute son horreur. J’amais je ne l’oublierai. Lorsque la France fut libérée de l’occupation nos réfugiés lorrains purent regagner leur village ou ce qu’il en restait.
Des liens s’étaient tissés entre nous et longtemps nous avons échangés des nouvelles. Des couples s’étaient formés, des mariages furent célébrés, autant de raisons pour que nos familles restent liées.
Notre village a aussi hébergé un étranger qu’il fallait cacher car il était recherché par les Allemands. Tout le monde le savait mais personne ne l’a dénoncé. Il fut caché dans le clocher de l’église. L’instituteur et le curé se relayaient pour lui porter de quoi manger.
Nul ne sait ce qu’il est devenu, sans doute est-il reparti libre dès que cela a été possible.
Nous avons aussi hébergé un couple de Parisiens. La dame tenait un magazin de mode sur Paris. Elle nous faisait rêver. Ils venaient avec nous dans les champs pour faire les foins. Ils vivaient libres dans le village sans doute qu’ils ne pouvaient rester en zone occupée. Ils sont repartis après la guerre.
Il y a eu aussi des moments terribles dans les Pyrénées. Je me souviens d’un villageois de Sauvagnon qui a été trainé derrière une voiture allemande jusqu’à la place Clémenceau à Pau, où il fut pendu par la suite. Une plaque commémorative à été mise sur un arbre pour qu’on n’oublie pas cette atrocité.
Il y eu aussi un charnier sur la route de Bordeaux où des corps furent ensevelis.
Je me souviens d’un jeune homme de Montardon qui se rendait en vélo chez le coiffeur à Pau. Les Allemands l’ont abattu sur la route de Bordeaux. Ils se vengeaient sur un innocent, parce que l’aviation de Pau-Uzein avait été bombardée.
Pendant la période scolaire, après le certificat d’études j’allais à l’école supérieure de Nay. Je logeais chez mon oncle qui était Directeur à l’école des garçons dans la rue Thiers. Très tôt le matin j’entendais les bottes des Allemands qui marchaient dans la rue, venant de l’école Saint-Joseph, qu’ils avaient réquisitionné, tout comme notre école. Je les entends encore chanter à tue tête le chant « alli allo ». Les cours se donnaient dans des pièces prêtées par la ville pour que l’école continue malgré tout.
Nous n’avons pas eu connaissance pendant la guerre de l’horrible camps de Gurs. Plus tard nous avons appris ce qui s’était passé près de chez nous. Des Juifs, des Espagnols, des résistants y furent enfermés, ils y vécurent dans le froid, la boue, la faim. Beaucoup d’entre eux y moururent.
Il y eut aussi la Résistance en Béarn. Mon frère ainé y était engagé. Il était à Béhobie, village basque entre la France et l’Espagne. Il lui arrivait de revenir la nuit au village ou dans le village de sa fiancée. Mais si les Allemands passaient près de là, quelqu’un allait le prévenir pour qu’il puisse se cacher.
Tout ce que je viens de raconter sera à jamais présent dans ma mémoire.