Retrouver l’histoire d’un village est une recherche passionnante, mais elle reste inachevée si l’on ne s’intéresse pas aux “gentilés”.
Ils sont la substance même du lieu, et, le cheminement de l’histoire d’une famille peut réserver bien des surprises.
Notre village, Poey de Lescar, recèle un ensemble de patronymes variés, mais leur souche commune et primitive émane de la nature et de son environnement.
Lors de l’apparition du langage, les hommes ont nommés montagnes, forêts, lacs et rivières, puis, un nom a désigné le lieu de vie de chacun. Apparaissent alors les du PONT, du FOUR, de la LANNE, d’OUSSE. Et c’est ce dernier patronyme qui va nous intéresser.
D’où provient-il ? Quelle est sa formation ?
Les linguistes nous apprennent que c’est un “hydronyme” c’est à dire un nom propre ayant-trait à l’eau ou à une étendue d’eau. Après s’être sédentarisés, les hommes se sont regroupés auprès d’un point d’eau, provenant d’une rivière, d’un lac ou d’un ruisseau.C’est ce qui c’est produit il y a trois mille ans sur notre site.
Plusieurs rivières, appelées OUSSE, arrosent nos Pyrénées. Celle que nous connaissons s’est d’abord identifiée “OURS, OSSE, LAORSA (1394), l’OUSSERE, l’AUSSERA en 1547, pour devenir l’OUSSE des BOIS actuelle. Ses bords ont été habités très tôt. Il y a donc eu des gens de l’OUSSE puis DOUSSE.
L’historien béarnais, Pierre de Marca, fait état d’un chef de famille PEYRE d’OSSE en 1020.
Des générations DOUSSE ont vécu au rythme du paysan béarnais, avec les aléas des différentes époques, et parfois les divagations de la rivière. L’absence de documents et la perte d’archives notariales, ne nous permettent de retrouver plus précisément la famille DOUSSE qu’en 1630, lors de l’établissement des registres paroissiaux, ordonnés par François 1er en 1625. C’est en les parcourant que notre curiosité va s’éveiller et remonter le fil du temps.
Le registre paroissial de Poey porte “en l’an de Grâce 1631, par le Sieur Amade, curé de Poey et d’Aussevielle, le baptême de JEAN de SAYIUS de Poey, fils d’Aramonit du BOURRIER dit “le Carabin” et de Marie de GRATTIOTE de Poey”.
Mais quel est ce nom étranger “du Bourrier”, et qu’est-ce qu’un “Carabin” ?
Quel rapport peut-il y avoir entre ce baptême et la lignée DOUSSE ?
Pour le savoir, il faut se replonger dans l’histoire de France et de son armée.
Le CARABIN est, au XVIIe siècle, un combattant de l’armée prépondérante à l’époque : la cavalerie. C’est un corps venant de la compagnie des Chevaux-Légers, créée par Henri IV pour sa garde personnelle. (Ils deviendront sous Louis XIII les fameux mousquetaires); C’est un corps d’élite, au recrutement très strict, et exigeant une origine noble. Les Carabins appartiennent à des régiments permanents ou provisoires levés en temps de guerre. Leurs déplacements sont fréquents et varient selon les “campagnes” qui peuvent durer quelques jours ou plusieurs mois.
Aux troupes françaises sont associés, selon une très ancienne coutume des mercenaires de différents pays. Et, c’est en vertu d’un traité signé par François 1er en 1525 que des troupes Suisses seront mises au service de la France. (Le roi les considérait comme des auxiliaires et non comme des mercenaires).
Ce fut le canton de Fribourg en Suisse Romande, pays de Gruyère, qui fut choisi. Il fournira les deux tiers des contingents de l’armée. Les échanges furent facilités par l’usage de la langue française et la pratique de la religion catholique.
Il est donc tout à fait légitime que des combattants suisses, soldats et leurs officiers Carabins, appartiennent à des régiments mixtes comme ceux de Guyenne (1558) d’Armagnac ou de Navarre, et aient participé aux combats de l’Ile de Ré de Montauban (1621) ou de Mont de Marsan.
Les chroniques de l’époque nous apprennent que les troupes n’étaient pas encasernées et que par ordre du roi, elles logeaient chez l’habitant durant les Campagnes. Les rapports sociaux étaient inévitable et c’est pour notre recherche sur la famille Dousse une découverte inattendue, les rapports Béarno-Suisses.
Un premier contact est établi avant 1630 par un Capitaine des Gardes, JEHAN BOURDILLON de la BORDE. Originaire de Bayonne, il appartient à une famille franco-suisse, datant du XVI eme siècle en partie exilée à Genève lors des Guerres de Religions. Ayant épousé une béarnaise, Julienne de Lassalle, il réside à Beyrie, et le baptême de sa fille est enregistré à Poey (26 juin 1630).
C’est le début des relations dans nos parages. Nous avons vu le baptême en 1631 du fils du “CARABIN” Mais qui est Aromonit du BOURRIER ?
D’après la “Société généalogique et Heraldique de Fribourg” il appartient à une très ancienne famille Patricienne ayant le titre de “Bourgeois”.
Le sieur du BOURRIER a épousé à Poey, Marie de GRATTIOTE (elle même appartenant à la bourgeoisie landaise) d’où le parrainage de l’enfant par les Domengers de Poey, Jeandon de Padie et Arnaudine de Pont (tradition oblige !).
La famille du BOURRIER-MARIOTTE va s’accroitre mais l’on perd sa trace en 1635. (Elle ré-apparaitra (1693) sous une autre identité en devenant CARABI, lors de la naissance de Dominique du Carabi, fils de Pierre de Peri et de Suzanne de Carabi).
Mais qu’en est-il de la famille DOUSSE ?
Nous la retrouvons en 1649, lors du baptême de Marie DOUSSE, fille d’un Jean DOUSSE alias “GANTOIS” et de Marie de Buros.
L’apparition de cet additif “Gantois” pose question. Soit ce Jean Dousse s’est établie à Gan près de Pau et est donc un habitant de Gan, un Gantois. Soit, l’origine est beaucoup plus complexe. En résumé, il pourrait être le descendant d’un soldat Suisse ayant combattu à “Gand” en Belgique, sous François 1er. Ce surnom étant devenu un patronyme. L’absence de document est criante.
Simultanément d’autres militaires s’installent, leur contrat avec l’armée étant rempli.
Un nouveau nom Suisse apparaît : de JUBIN (JOBIN, d’origine alémanique). C’est le mariage en 1680, d’Antoine de JUBIN avec Marie DOUSSE de Poey.
La famille de JUBIN est aussi une très ancienne famille (1575) ayant le titre de “Bourgeois” à Rocourt dans le Jura Suisse. Avec Jean, Antoine, Arnaud les prénoms se répètent au cours des générations, les alliances seront variées avec les béarnaises, telles celles avec Marie de l’Haulhère ou Marie du Vignalet. La famille JUBIN-DOUSSE sera présente à Poey de 1625 à 1738.
Au cours des siècles passés les patronymes restaient circonscrits à une région, puis ils se sont dispersés.
Le nom DOUSSE a été peu présent dans les Basses-Pyrénées devenues les Pyrénées-Atlantiques, mais il s’est beaucoup répandu dans les Landes , le Lot et Garonne et même le Cantal.
Curieusement on le découvre dans l’Essonne et la région Parisienne, mais il est sans rapport avec l’origine béarnaise. Il provient très simplement d’une erreur de transcription sur un registre paroissial . Le curé de Gaudreville (Eure) a inscrit en 1740, le nom DOUSSE au lieu de DOUCE, qui était vraisemblablement le surnom devenu patronyme d’une habitante entre le Veme et le X eme siècle !
Mais il est une autre découverte, si l’on s’intéresse au nom DOUSSE, c’est sa présence dans le canton de Fribourg. On peut imaginer un retour au pays de Carabins ayant fondé une famille française. Il n’en n’est rien.
Le nom DOUSSE est la transformation au cours des siècles d’un nom d’origine germanique. Il existe en 1604, à Fribourg, la famille noble DUSS VON ERGENZACH. Elle deviendra DELEDREFURS, DUSSEN en 1611, puis DUSS, et enfin DOUSSE depuis le XVIIIeme siècle. A noter que ce patronyme est toujours présent au sein des notables de Fribourg.
Que conclure en regardant couler paisiblement notre “Ousse des Bois” sous son pont fleuri ? Qu’elle est un vrai livre d’Histoire, nous fait retrouver nos racines, rend vivants nos ancêtres et nous attache à ce modeste coin de terre béarnaise.