Dans les pages suivantes, Bernard Lavigne nous raconte l’histoire des usines qui se sont installées sur la commune pour exploiter le sel de Briscous au plus près de Bayonne.
Si elles ont connu des destins très différents, elles ont été des éléments clés de l’évolution économique de Mouguerre, offrant aux habitants de nombreux emplois.
L’éphémère saline d’Elizaberry
L’existence de sel gemme dans le sous-sol du quartier Elizaberry est connue depuis la nuit des temps. Il n’en est pour preuve que l’appellation du ruisseau s’écoulant dans le vallon sud depuis la commune de Jatxou : ur gazia (l’eau salée).
Mais toute exploitation sauvage de cette eau était jadis frappée d’un interdit sévère, l’État percevant un impôt sur le sel, la fameuse autant qu’impopulaire gabelle de l’ancien régime, en vigueur jusqu’à une époque récente. Le sel de contrebande a dû être une tentation permanente pour la population car en 1833 le préfet incitait les communes, dont Mouguerre, à exploiter de façon légale cette ressource (1). La même année, le puits d’Elizaberry d’où s’écoule l’eau salée est gardé par la troupe (2). Réalisant la lourdeur de ce gardiennage, le Service des douanes demande que ledit puits soit purement et simplement comblé (3). Il semble toutefois que la commune n’ait pas obtempéré car le cadastre de 1874 révèle à côté du puits une maison du gardien de la saline.
Toute idée d’exploitation sera abandonnée pendant cinquante ans. Il faut attendre l’année 1898 pour voir un entrepreneur assez audacieux relancer le projet (3). Il s’agit du docteur Mordko ROSENTHAL. Comme son nom l’indique, ce docteur appartient à la communauté israélite. Né en Russie, médecin exerçant à Paris 1 er, il a épousé une jeune Bayonnaise de sa confession habitant le quartier Saint-Esprit, demoiselle Rachel Jane ALVAREZ PEREYRE (4). Il convient également de placer la commune dans son contexte, aussi bien d’époque que de géographie : dans trois communes voisines, Villefranque, Briscous et Urcuit l’exploitation du sel gemme a cessé. La fabrication sur le site d’extraction et les transports par bouviers ont rendu le sel local non compétitif. Mais une reprise s’amorce avec l’installation au Port de Mouguerre et au quartier Mousserolles de Bayonne, d’usines qui sont prêtes à relancer l’industrie tout à côté de la voie ferrée qui acheminera combustible et production.
L’autorisation d’exploiter obtenue de la commune le 29 mai 1898, le docteur engage des travaux sur trois sites :
– Au lieu-dit Liparchia, propriété à 150 m à l’est de l’église du quartier, construction d’une raffinerie de sel (5). Cette maison située dans l’alignement du vallon d’Ur Gazia a préalablement été acquise par M. Rosenthal. La raffinerie, grande bâtisse genre hangar abrite des fours à bois sur lesquels reposent des bacs en fonte devant contenir la saumure. Les fours sont raccordés à une très haute et belle cheminée de briques rouges, visible de toute la commune.
– Sur la rive gauche du ruisseau Ur Gazia, forage d’un puits d’eau salée d’une profondeur de cinquante mètres environ, et réalisation d’un captage avec pompe.
– Entre le puits et la raffinerie distante d’un km environ (6), pose enterrée d’une canalisation en fonte.
Les travaux préliminaires terminés, la raffinerie est prête à fonctionner. La technique de fabrication est classique : la saumure pompée dans le puits est acheminée par la canalisation jusqu’aux bacs de la raffinerie, évaporée au feu de bois et le sel obtenu mis en sac.
N’oublions pas toutefois les incontournables « gabelous », les agents du service des douanes qui sont promptement installés dans une maisonnette construite à leur intention, existant encore à proximité (la maison POSTA) pour comptabiliser la production.
Le fonctionnement de la saline est assuré par des ouvriers du cru logeant avec leur famille dans la maison Liparchia. La fabrique procurait également du travail aux fournisseurs de bois et aux bouviers assurant les transports, tous gens d’Elizaberry.
Les archives de la commune gardent trace de l’existence de la saline : elle appartient jusqu’en 1922 en nom propre à M. Rosenthal Mordko Maurice, docteur à Bayonne où il s’est donc installé. Elle prend ensuite d’autres formes juridiques pour finir en 1939 en Société anonyme des salines d’Elizaberry dont le siège après avoir été fixé à Paris est transporté avenue Maréchal-Soult à Bayonne (7).
Peu d’informations sur l’activité industrielle nous sont parvenues. Par contre la lecture des matrices cadastrales de la commune nous éclaire sur la fin rapide de cette industrie :
– En 1924 le bâtiment de la pompe, le corps de garde de la douane et la fabrique de sel sont déclarés en ruine.
– En 1943 le bâtiment assurant le gardiennage du puits et le fonctionnement de la pompe sur les bords du ruisseau Ur Gazia est démoli.
– En 1951 enfin la grande cheminée menaçant ruine et les bâtiments abritant les fours sont démolis.
À la même époque, la canalisation de fonte reliant le puits à la fabrique est déterrée pour être vendue comme ferraille. La saline d’Elizaberry eut donc une vie très brève. Elle aurait cessé toute activité en1902, soit trois à quatre ans après son lancement.
Des derniers propriétaires de la concession d’exploitation la Compagnie des salins du midi et des salines de l’Est sise à Varangéville (dép. de Meurthe-et-Moselle) nous apprendrons les raisons suivantes de ce fiasco :
– la saumure tirée du puits d’Annayaenia lors de son exploitation n’était pas complètement saturée ce qui alourdissait le prix de revient du sel ;
– le docteur Rosenthal avait reçu des propositions d’industriels concurrents pour cesser toute activité salinière contre une redevance annuelle, ceci afin de limiter la production et maintenir les prix.
Sagement le docteur Rosenthal renonça.
Peut-être sera-t-il possible d’en apprendre davantage sur la vie de l’entreprise pendant ces brèves années quand la Chambre de Commerce et d’Industrie de Bayonne ouvrira ses archives aujourd’hui non consultables.
Liparchia reprenant sa fonction première de métairie est rachetée en 1964 aux ayants droit de l’ancienne société par Jean Etchave, fils de Battita, ancien ouvrier de la Saline, demeuré sur les lieux et exploitant la métairie.
Le ruisseau Ur Gazia coule toujours dans le vallon mais ne mérite plus son nom ; l’eau en est tout à fait douce. Plus rien ne subsiste sur les bords du cours d’eau qu’un tas de pierres, vestige de la maison Ur Gazia, logement du gardien responsable de la pompe.
Au bourg, la maison Posta heureusement restaurée et préservée reste le dernier témoin de la Saline d’Elizaberry avec la maison Liparchia, belle maison labourdine qui semble veiller sur sa petite sœur Posta. L’existence passée de cette saline était presque oubliée quand, en septembre 2005, la commune de Mouguerre reçoit un courrier provenant de la Compagnie des salins du midi et des salines de l’Est sise à Varangéville (dép. de Meurthe-et-Moselle). Ce courrier nous apprend que la dite compagnie est titulaire de la concession d’eau salée d’Annayaenia. Ainsi donc la concession que l’on pensait révolue était toujours active, près d’un siècle après son obtention par M. Rosenthal et par le jeu de vente et fusion, elle appartient aujourd’hui à cette lointaine société.
Notes :
(1) Registre des délibérations du conseil municipal le 27 août 1833.
(2) Registre des délibérations du conseil municipal, budget 1835.
(3) Registre des délibérations du conseil municipal le 28 septembre 1839.
(4) Registre des mariages de Bayonne, le 20 mars 1890.
(5) Autorisation de construction du 17 avril 1899.
(6) Registre des délibérations du conseil municipal, 29 mai 1898.
(7) Matrices des propriétés bâties, années 1926 et 1943.
Et les témoignages précieux de Jean Etchave et Jean-Baptiste Larroquis d’Elizaberry.
Extrait du Guide Patrimonial, édité par l’association Mouguerre Patrimoine et Culture