Le lendemain, jour de Pâques, toute la famille allait à la Messe, sauf Parrain et Alexandre (les mécréants comme disait ma grand-mère). Dès que Monsieur Brottier entamait le «Credo», que l’assemblée chantait en choeur, les cloches revenaient de Rome et carillonnaient à toute volée, c’était surprenant et j’étais remplie d’émotion et de joie, d’enthousiasme aussi. Les jeunes filles partaient sur l’autel, des corbeilles contenant les morceaux de mounas de Mémé que le prêtre devait bénir. Puis, à la fin de la Messe, les mêmes jeunes filles reprenaient les corbeilles et faisaient la distribution du «Pain béni». A la sortie de la Messe, tout le monde se retrouvait dans la tiédeur d’un clair matin d’avril, s’embrassait, se congratulait, échangeait des nouvelles puis rentrait chez soi.
C’était l’heure du repas traditionnel, la famille au complet était réunie. Après l’apéritif : olives, saucisson, fèves (tendres et fraiches), cacahuètes, arrosés par une délicieuse anisette, on passait à table. Les immanquables oeufs mimosas, le jambon (qu’on venait d’entamer de même que le saucisson que tonton Louis avait lui-même mis à sécher quand il avait tué le gros cochon), la blanquette d’agneau, le gigot d’agneau bien persillé, cuit au four de la cuisinière, accompagné de pommes de terre nouvelles. C’était le travail de maman, c’est elle qui faisait la cuisine. Les autres femmes avaient mis la table, s’étaient occupées des vins, des liqueurs, de mettre le champagne au frais, préparer le café et faire le service à table. Maman, une fois assise, ne se levait plus de table. Papa découpait le gigot sur place, disposait les tranches dans un plat. Tout un art !…. Chacun le regardait faire avec admiration. Tout cela se faisait dans une ambiance de rires et de chansons, dans la joie du matin de Pâques. Chacun chantait sa chanson, on la lui réclamait. Papa chantait, de sa belle voix de ténor, «la voix des chênes», Parrain «Les mouchoirs», Théodule «Les millions d’Arlequin», tonton Charlot «Beth cieu dé Pau», tonton Louis «Le canigoü» et «La Cerdagne», tata Marie «Le temps des cerises», Maman «Les papillons de nos amours», Marraine «L’amour est enfant de bohème», Caroline «La femme du rocher», «La fille de Madame Angot». Quant à Alexandre, c’était tout le répertoire des chansons du «corps de garde», qui faisait rire l’assemblée et dire à maman : «Arrêtez Alexandre, il y a du linge blanc», faisant allusion à la présence des enfants. Mais, de toute façon, nous ne comprenions pas les sous-entendus grivois qui faisaient rire les grandes personnes.
Après le repas, les femmes s’occupaient à faire rapidement la vaisselle, débarrasser la table, faire du rangement. Les hommes entamaient des parties de cartes, Tonton Louis faisait la sieste. L’heure des vêpres arrivait vite, les femmes et les enfants s’y rendaient.
Quel enchantement, la musique de l’harmonium, les cantiques en latin «Ô salutaris hostia» «Qantum ergo», les litanies de la Sainte-vierge, les litanies des Saints, l’odeur d’encens, tout cela dans le miroitement multicolore que la lumière du soleil filtrait à travers les vitraux : du vert, du jaune, du bleu, du rouge, c’était magique, mon âme d’enfant vibrait intensément.
Après les vêpres, les femmes, libérées de toute contrainte, allaient se promener, les enfants suivaient, c’était une bonne détente, un moment de loisirs car dès le retour, elles devaient penser au repas du soir, reprenaient leur mission : mettre la table, préparer le souper, servir tout le monde, toujours dans la joie et la bonne humeur, sans ménager leur fatigue. Après avoir lavé et rangé la vaisselle, il était temps d’aller au lit, la journée avait été bien assez longue.