Les filles de Marie et autres souvenirs religieux

A Hasparren, comme dans de nombreux villages du pays basque, les écolières qui le souhaitaient pouvaient être admises aux “filles de Marie”. Qu’elles soient scolarisées à l’école libre ou à l’école laïque, toutes les filles pouvaient y prétendre. Mayi précise : « On restait fille de Marie jusqu’à se marier. Moi je suis restée mutxurdin (célibataire), c’est pourquoi je suis encore à ce jour une fille de Marie prolongée ». Les religieuses qui les encadraient appartenaient à l’ordre des Servantes de Marie, basé à Notre Dame du Refuge, à Anglet. Elles étaient habillées en bleu ciel et blanc.

Parmi elle, sœur Bruno, une béarnaise, grande et costaud, nous faisait un peu peur ; elle faisait les piqures et s’occupait des grands malades qu’elle visitait, « il n’y avait pas d’infirmières à l’époque ! » Comme il n’y avait pas non plus de pompes funèbres, elle faisait aussi la toilette des morts. Il y avait deux Servantes de Marie au quartier Eliçaberry, deux autres au quartier Celhay, mais il y en avait aussi au collège. Et notre maison de retraite était tenue à l’époque par les Filles de la Croix, habillées en noir avec de grandes cornettes.

Il y avait de nombreux avantages à être une fille de Marie. Tout d’abord, on était très bien vues, tout le monde nous « chouchoutait ». Et surtout, on prenait une part active à tous les évènements religieux si nombreux à l’époque : processions pour la fête Dieu, la huitaine suivante l’octave, l’Assomption le 15 août, la Sainte Croix le 14 septembre (on montait au calvaire en faisant les quatorze stations, comme à Lourdes)… On était habillées toutes en blanc, avec des rubans bleus ciel et une médaille. On était toujours au début de la procession, derrière les pavillons. On portait des paniers de pétales de roses que l’on jetait autour de nous ! Pour ces processions, les paysans recouvraient les rues où on passait avec du foin. Ginette et Mayi précisent que « de leur temps » c’étaient les enfants de chœur (des garçons) qui jetaient les pétales de roses.

« J’aimais beaucoup ça » se souvient Ursule. « J’étais pensionnaire à Bayonne, et en mai, pendant le mois de Marie, nous nous réunissions tous les soirs à la cathédrale pour chanter ».

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Eglise St Jean Baptiste à Hasparren

A l’église d’Hasparren, les enfants de l’école libre étaient devant (derrière les notables), les filles de Marie étaient à gauche car elles chantaient à côté du piano. Laurent se souvient que ceux de l’école laïque étaient à droite. « Un dimanche c’étaient les religieuses de Celhay qui nous surveillaient, le dimanche suivant, c’étaient celles d’Eliçaberry ». Le chantre dirigeait les chants à la tribune, et en bas à gauche Mlle Elissagaray, une vieille fille qui jouait du piano, dirigeait les filles de Marie.

En échange de ces moments de gloire, il y avait des obligations : nous devions être irréprochables dans notre comportement. Par exemple nous n’avions pas le droit d’aller danser au bal, ce qui était très mal vu ! « On était surveillées par des religieuses filles de la croix. Elles étaient très méchantes, je les aurais tuées. Danser était un péché mortel, elles nous ont fait croire n’importe quoi. Les contre-danses comme la valse ou le tango étaient défendues, se toucher était interdit. Mais on avait le droit de danser le fandango car là on ne touchait personne ! » se souvient Mayi…

Dans un village des environs, une fille de Marie avait dansé pour les fêtes du village, et le curé l’avait su.

– « Puisque c’est comme ça, vous ne viendrez plus chanter avec les filles de Marie à la messe »

– « Très bien, je ne serai plus avec les filles de Marie, mais je viendrai à la messe et je chanterai quand même ! »

Anecdotes de Ginette :

– « Une fille, je crois de Saliondoa, portait la sainte vierge en procession avec trois autre filles. Mais catastrophe, voilà que trois mois après, elle était enceinte. Cela n’est pas passé inaperçu à Hasparren, tout le monde l’a su ! »

– « Pour les manœuvres de la guerre, le colonel avait demandé au micro sur la place publique, de laisser pour une fois, les filles venir danser avec les militaires. Certaines sont parties danser. Moi j’en mourrai d’envie, mais j’avais peur. Mon beau-frère m’a dit : va faire une danse et revient ici tout de suite après. Le dimanche d’après je n’étais pas tranquille pour aller à la messe. En plus je ne l’avais pas dit au curé, mais heureusement ça ne s’est pas su. »

Nous, de l’école laïque, on avait catéchisme le jeudi matin à la crypte avec Mlle Chorribit. On écrivait nos « intentions », on faisait des prières… Le jeudi après-midi et pendant les vacances, les parents nous envoyaient chez les Filles de la Croix, des religieuses habillées en noir ; elles nous apprenaient la couture, la cuisine, on chantait, c’était mieux que de rester à la maison. On s’amusait et on apprenait toujours quelque chose. Gracie se souvient d’une religieuse très âgée qui s’occupait du jardin et du poulailler. Toutes les heures, quand ça sonnait, on se levait on faisait le signe de croix et on chantait, par exemple à trois heures : « à trois heures comme à toute heure, que Jésus soit dans mon cœur, qu’il y fasse sa demeure et qu’il y règne en vainqueur ». L’après-midi, il y avait une heure où on lisait « la vie des saints ».

« J’ai connu une jeune fille qui travaillait à la chaussure chez Trolliet et qui s’était faite bonne sœur, et pour entrer chez les sœurs il fallait aussi faire son trousseau. Alors le samedi je me souviens qu’elle brodait son trousseau. » Toutes les jeunes filles préparaient leur trousseau, il fallait au moins une paire de beaux draps, avec les initiales. Comme ces draps servaient aussi quand on avait un mort, il fallait qu’ils soient très beaux comme ça les gens qui venaient faire la visite disaient « tu as vu ces beaux draps ! » (ou alors « tu penses, ce n’est pas à elle, on lui a prêté »).

Quand on avait un mort, on fermait tous les volets, on arrêtait les pendules, on couvrait les miroirs, on allait prévenir les abeilles (il parait que sinon elles risquaient de partir), on enlevait les cloches des vaches et on sortait le chien (qui autrement n’aurait peut-être pas été aimable avec tous les visiteurs qui passaient à la maison). On portait le deuil pendant un an et on allait tous les mercredis et vendredis à la messe pour les âmes du purgatoire.

La religion était très importante à l’époque et à part quelques athées qui arrivaient de l’extérieur, tous les gens du village allaient à la messe. Et tous les mois il fallait se confesser ! Beaucoup allaient à la messe par habitude et parce qu’après on allait boire un coup. Behaska, Etchenique, Mandea, Darritchon… il y a eu jusqu’à sept bars dans la rue qui va de l’école à l’église ! C’était aussi comme ça que les nouvelles circulaient. La première messe était à cinq heures, ensuite à sept heures à neuf heures et la grand-messe à onze heures ! Le dimanche après-midi il ne fallait surtout pas manquer les vêpres, à trois heures. Nous à Mauléon, après les vêpres on avait le cinéma, tenu par les curés, à Maule Baita. A la sortie de la messe, très souvent le garde-champêtre faisait rouler le tambour avant de faire une annonce ; il disait en basque « Monsieur le Maire vous fait savoir que… ». Il y avait aussi de très jolies messes à neuf heures à la chapelle du collège, je me rappelle que nous y allions parfois car l’abbé Marempouy, qui était professeur, jouait très bien de l’harmonium.

Le dimanche à dix heures et demie un prêtre montait dire la messe à la chapelle de Celhay.  On avait deux vicaires et un curé, et tous les jeudis, l’un des trois montait au quartier Celhay, pour faire le catéchisme aux gosses. L’année de la communion, les enfants avaient catéchisme deux fois par semaine, le lundi et le vendredi, à l’aller ça descendait, mais au retour il fallait monter les trois kilomètres de raidillon !

 

 

EHPAD Larrazkena – Hasparren

Ursule, Yvonne, Catherine, Françoise, Ginette, Mayi, Yvonne, Janine, Mado, Jeanine, Laurent et Gracie

 

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