Année 1973-2ème édition.
« L’échec est orphelin. La victoire a cent mères. » Cette phrase de J.F. Kennedy pourrait aisément s’appliquer à ce qui vient de se passer.
En aparté, qu’il me soit permis d’apporter une ou autre précision sur ce qui s’est passé : tout d’abord, pour signaler la participation active d’Anselme Bernadets, au micro. Il eut à interviewer les divers concurrents, charge dont il s’acquitta avec sa verve habituelle et un plaisir non dissimulé.
D’autre part, nous avions, mon frère et moi-même, mis au point un véhicule à pédales à 4 roues, deux places passagers et un volant, à partir d’un châssis récupéré. Cet engin, baptisé Diane, fut déclaré « Véhicule Officiel », participant (déjà) à la lutte anti-pollution et devant ouvrir l’épreuve.
J’ai oublié de signaler aussi qu’un méchoui fut organisé pour compléter cette réussite.
Quand un film fait un succès dès sa sortie, on se dépêche de mettre sur les rails la version 2. Pour l’édition 73 de la course des pépés, les inscriptions furent prises sitôt la ligne d’arrivée franchie. Déjà qu’il fallut réfréner certaines ardeurs avant le départ pour éviter un surnombre.
Résumons : tout le monde voulait maintenant participer et glaner ainsi une petite parcelle de gloire même si elle se réduisait à un bon moment de rigolade. Le schéma était d’autant plus facile à gérer pour ceux qui formulaient une telle exigence, qu’ils me refilaient bien évidemment la patate chaude : je faisais partie des concepteurs et organisateurs de la première heure, alors au boulot pour la suite.
J’avais anticipé pareille évolution, je l’avais vu venir depuis le moment où l’on m’avait réclamé deux tours de circuit pour les pépés. Pour une fois que j’étais le patron de l’affaire – par tacite convenance, mes deux compères restaient affectés à leur secteur d’âge – je n’allais pas me gêner pour organiser un petit quelque chose à ma main. Parce que, moi aussi, mine de rien je mourrais d’envie d’aller sérieusement faire le guignol dans les rues du village. D’autant que le tour du hameau, je connaissais par cœur, et le vélo, j’aimais bien sans aller au-delà de la pratique occasionnelle à tendance sportive.
Donc, le challenge est le suivant : organiser en ouverture une course cycliste avec un nombre de participants limités. Comment faire une sélection et sur quels critères ? Quelle organisation comporte un nombre connu et déclaré de personnes ? La réponse s’impose d’elle-même : le Conseil Municipal ! 13 élus municipaux, et devinez quoi : j’en fais partie ! Bien joué, non ? Inutile de faire un sondage : c’est OK pour tous !
Les entraînements commencent ou plutôt recommencent. Sérieux pour les conseillers, enfin selon l’âge, mais il faut faire bonne figure, statut communal oblige. Pour les pépés, l’entraînement est devenu collectif : tout le monde est sur la route pour les voir et aussi parfois les accompagner. Pour les agriculteurs riverains, c’est souvent l’heure de la traite : alors on branche la machine à traire, on enfourche le vélo, on boucle le tour de circuit et revient à temps pour débrancher la machine. Les statistiques ne disent pas s’il y eut une augmentation de la production lactée à cette période !
Monsieur le Maire, Jean Sarthou confie au journaliste venu l’interroger : « La lutte sera farouche entre les jeunes loups et l’arrière garde. Heureusement que les élections ne sont pas en jeu. Mais je vous assure que l’entraînement est des plus sérieux malgré les vaches qui choisissent leurs heures pour croiser notre chemin ».
Le jour de la course, tous les conseillers sont en grande tenue … sportive. Sauf un qui s’est cru malin avec un tee-shirt trop court et une inscription dans le dos : « Lacharrue devant les vieux » ! Si c’est pas de l’humour, ça! Bon, deux tours de circuit à boucler, départ par rang d’âge, les cinq premiers toutes les 15 secondes, les autres toutes les cinq secondes. Le premier à démarrer est Pierrot Cazenave-Tapie, avec un fumigène sous la selle. Le dernier, c’est moi, avec le même mode de propulsion ; sauf que je trouve que la chaleur ambiante est un peu trop pressante et je me dépêche de l’arracher de ma selle. A partir de là, c’est du chacun pour soi ; donc je me concentre sur ma course. J’avais le vélo de mon frère, qui était licencié au Pau-Vélo-Club, donc un vélo d’attaque ! A la moitié du premier tour j’avais rejoint mes principaux adversaires, le plus dur semblait fait, d’autant que plusieurs d’entre eux, s’ils comptaient des années en plus, pouvaient les comptabiliser en années d’expérience sportive cycliste. Ce qui n’était pas mon cas ; je me suis donc laissé guider jusqu’à l’entame du second tour, afin de me placer au mieux. Mon frère m’avait donné une indication technique précise pour placer mon attaque dans le dernier tour. A l’entame de la dernière difficulté qui faisait suite à une longue descente rapide, je fais ce qu’il m’avait dit : je remonte un pignon et je pars en danseuse à fond sur les pédales. Démarrage foudroyant qui surprend mes adversaires et les laisse sur place. Le reste n’est plus qu’une chevauchée fantastique, à fond la caisse, dans les deux descentes qui suivent jusqu’à la ligne d’arrivée. Mes deux dauphins sont Jeannot Fréchou et René Lafuste, soit dit en passant nous sommes tous les trois non-fumeurs. Présentation des vainqueurs à la foule en délire sous la haute hampe des drapeaux à l’extérieur de la salle des sports. Bon, voilà, ça c’est fait. Passons aux choses sérieuses !
Le succès de l’édition passée avait attiré la presse locale qui avait réservé toute une page hautement humoristique à quelques figures locales. Nous allons retirer quelques extraits assez pittoresques des déclarations qui furent retranscrites.
-Lilou : « Pour me stimuler, je crie « Het place ! Het place! ».Mais je dois l’avouer, quand j’arrive j’ai les jambes flageolantes et le palpitant qui cogne. Le régime ? Oui, j’en ai un : bien manger ! Au casse-croûte : cuisse de canard en confit, fromage du pays, deux litres et demi de vin entre les repas. Jamais de lait : c’est du poison ! Enfin juste avant le départ, quelques petits cognacs. »
– Toutoune : »J’ai fait deux fois le tour du circuit pour m’entraîner et j’étais chaque fois plus fatigué. Alors c’est décidé ; j’arrête tout jusqu’au signal du départ et je partirai en coup de fouet. »
– Jean Fréchou : « Mon secret pour la course ? Une bonne goudale dans la garbure de midi. »
– Pierre Jouanicot: « Avant le départ, j’ai voulu faire un tour de reconnaissance, si bien que pour la course j’étais éreinté. Alors cette année, pas de folie, je courrai sur mon vieux vélo acheté 500 francs, il y a 46 ans ; il me portera chance, je l’espère! »
– Témotte : En un an, j’ai parcouru 6 kilomètres. Mais je garde toutes mes forces pour la bataille : repos complet, du lit, encore du lit ; et quelques éclairs au chocolat. ».
– Jean Fille: « Il faut s’entraîner un peu tous les jours, et avant la course repas très léger. Seulement j’ai des problèmes : je suis en pourparler avec plusieurs marques qui veulent me signer un contrat et je ne sais pas laquelle choisir ».
– La Gifle : « Qu’est-ce que tu veux, j’ai pas la forme ! Bah, je partirais avec quelques carottes et des graines de radis pour me stimuler! »
On verra donc sur les photos : Jean Fréchou, sur son vélo, « l’ancêtre » de la course ; Vincent Daugas, qui se qualifiait lui-même de médecin « en carton-pâte » ; Lilou, sur son véhicule de fonction avec ses outils, et sur une autre photo en train de comparer ses capacités sportives avec celles de son copain Isidore Lafont, si tant est qu’une bedaine proéminente puisse en être le témoignage ; Témotte,lui, était resté sur son Solex ; tandis que Jacques Godart donnait le départ à La Gifle et Jean Fille, sur des mini-vélos, certainement d’entraînement. Pierre Jouanicot lui aussi avait son heure de notoriété. Le trio municipal, maire et adjoints, était aussi présent : Jean Sarthou, Pierre Cazenave-Tapie et Anselme Bernadets.
De nouveaux concurrents sont venus s’ajouter : Isidore Lafont, Jean Espérance, Jacques Cami, Jean Moncade. Les déguisements sont toujours aussi folkloriques, mais un peu cachés par des dossards fournis par le journal Sud-Ouest qui patronne la course avec l’Eclair-Pyrénées, dont je suis le correspondant. Pourtant l’accessoire le plus original qui soit donné de contempler, ce sont souvent une paire de mollets dont la carnation révèle qu’elle a su, jusqu’alors, se dérober aux attaques des rayons du soleil. Cela a suffi pour redonner suffisamment de piquant à cette deuxième édition.
Laissons la course se dérouler ; elle verra la victoire de Victor Peboscq-Per : il avait mis toutes les chances de son côté en empruntant le vélo de son fils et en prenant quatre comprimés d’aspirine au réveil. L’armagnac, l’aspirine : qui a dit dopage ? Oublions ce détail et passons à la remise des prix; La liste que nous avons retrouvée est dans la ligne droite de tout ce qui précédait.
Un petit échantillon :
– un canard vivant, un voyage aller-retour Nousty-Soumoulou par la SALT, une cure d’un jour à Vichy (un paquet de bonbons Vichy), un éclairage camping (lampe de poche), un élevage de bêtes à cornes (escargots), des collants (papier tue-mouche), un canard (journal), une douzaine d’œufs (la lettre E), un soutien gorge pour vaches (un gant latex), une paire de chaussures chinoises (tongs), etc… L’imagination dans ce domaine était au rendez-vous pour le plus grand plaisir des concurrents et des spectateurs.
La conclusion, nous la laisserons à Jean Eimer, journaliste de Sud-Ouest : « la vraie fête suppose que l’on inverse les rôles, ou du moins que l’on abolisse les privilèges. Mais encore faut-il des « acteurs » capables de tenir leur rôle. Les « pépés » de Nousty ont été en cela parfaits. Leur mascarade ne fut jamais épaisse ni pitoyable ; elle était drôle et pleine d’esprit. »
Alors, merci à eux tous !
Année 1974 et les suivantes – 3ème édition jusqu’à la sixième.
L’effet de surprise s’estompe, mais l’intérêt pour cette manifestation garde toujours la même densité. Il faut pourtant évoluer, si l’on ne veut pas se faire piquer l’idée.
En effet, un village voisin organisera « la course des pépées » et du côté de Lembeye, un correspondant local fera son gros titre sur une course des pépés qu’il qualifiera de « première » du genre. A croire qui lui, ne lisait pas les journaux.
Les déguisements deviennent de plus en plus sophistiqués, chacun mettant un point d’honneur à surprendre, si ce n’est par les performances sportives, du moins par une participation pour le moins folklorique.
Et toujours le même souci : celui de freiner les ardeurs des participants autres que les pépés. La formule retenue pour cette 3ème année sera celle d’une course d’ouverture réservée aux couples mariés.
Nous ne nous attarderons pas sur les descriptions diverses des accoutrements sportifs proposés ; ni sur les résultats sportifs. La description des deux, pour aussi originale qu’elle soit, finirait par lasser, même le narrateur. Nous fournirons des photos qui raconteront mieux que les commentaires.
La formule de la course par couples s’estompera elle aussi, « faute de combattants », et l’on assistera ensuite à la participation de couples dont la transsexualité est évidente pour un sexe comme pour l’autre. L’essentiel étant d’assurer le spectacle et à chaque fois mission accomplie, si l’on en juge par l’intérêt journalistique.
Ce qui ne fut pas la règle générale, parce que à l’initiative de jeunes du village, soucieux de donner à cette manifestation un éclat qu’elle semblait pouvoir mériter, FR3 Aquitaine fut sollicitée ; la réponse fut que pour le monde télévisée bordelais cette épreuve était « un peu trop agricole ». Merci messieurs !
Ce délire communicatif dura six années.
Par la suite, il fut organisé une course de bolides intitulée « Formule 4000 » ; c’était une course de véhicules sur roues avec deux concurrents, un pour guider, l’autre pour pousser et cela à tour de rôle. On assista ainsi à un défilé de véhicules plus étranges les uns que les autres sur un circuit raccourci et plus plat dans le village.
Mais suivant la formule consacré : « Cela est une autre histoire ! ». Peut-être d’autres la raconteront-ils ?
Qu’il me soit permis de faire une remarque personnelle : lorsque j’ai retranscrit la liste des pépés qui participèrent à le première mouture dont j’étais un des concepteurs et organisateurs, j’ai noté les âges respectifs des participants. Et je me suis rendu compte que, aujourd’hui, j’avais exactement le même âge !
Juste retour des choses ?
En conclusion, je citerais ce proverbe arabe : « Celui qui fait rire ses semblables mérite un paradis pavé de pétales de roses ».
Et quand on sait combien il est difficile de faire pousser des roses dans le désert …
Peut-être avons-nous réussi, tous ensemble, à rendre le désert un peu plus fertile !