Les rosiers au jardin sont encore fleuris, mais hier soir, nous avons allumé le premier feu et sa flamme a dansé joyeusement sur la tombe toute fraîche de l’été ….
Nous n’étions pas tristes car notre été fut saison de plénitude et, mort sur le calendrier, il demeurait bien présent à nos âmes qui s’ouvraient déjà à la poésie des ors et des pourpres que nous promettait l’automne.
Cet été défunt, allait, au fil des mois, se décanter pour, en sédiments successifs, venir ensoleiller les jours de brume et de bise ….nous allions porter en nous un feu intérieur ou s’immolerait la mélancolie !
Ce premier feu a brûlé en répandant des parfums oubliés et en faisant ressurgir les vieilles images d’autres veillées et nous l’avons regardé avec avidité, essayant de deviner à son présage ce que serait l’hiver qui s’annonçait…s’il serait heureux…si nous serions tous autour de son dernier feu…si…si…
Mais à quoi bon se consumer en questions et pourquoi ne pas s’abandonner à la douceur de l’instant ?
Le feu était là, et son odeur jointe à celle du jardin encore bien vivant donnait à la soirée une étrange dimension et, le temps d’une bûche, nous vivions un temps fort.
L’été avait été saison de phantasmes ou, écartelés de désirs contradictoires et dispersés aux quatre horizons, nous avions poursuivi nos rêves, bu à toutes les sources et, aujourd’hui ici et demain ailleurs, arpenté tous les chemins …
Et ce soir nous étions là, rassemblés, entre-nous, mais aussi recentrés sur nous-mêmes.
On avait un peu l’impression d’avoir, à la hâte, rassemblé au cours de l’été les débris épars d’un vase cassé et, à présent, devant ce feu, le vase allait reprendre forme et , au fil de l’hiver ses lignes de cassure allaient s’estomper et disparaître et l’on pourrait ranger le vase sur l’étagère des souvenirs des autres étés …..
Et chacun de nous auprès des autres avait, en regardant les flammes, rassemblé les tessons de son vase ….le feu est un écran merveilleux ou projeter ses rêves !
Nous allions entrer dans la noire saison ou il faudrait trouver en nous mêmes la ressource et la joie, ou il faudrait vivre pelotonnés en rond pour empêcher la petite lumière de s’éteindre au fond de notre âme et le feu nous serait d’un grand secours qui réchauffe les membres et fait danser les images.
Nous allions aborder l’hiver avec la sérénité des justes qui savent qu’un été revient toujours…nous allumerions souvent le feu et ce geste deviendrait sans doute banal, mais, ce premier feu demeurerait en nous à jamais et nous n’oublierions pas ce rassembleur d’âmes qui, au soir d’un été moribond nous avait réuni pour nous insuffler la force d’aller encore de l’avant vers l’horizon sombre de l’hiver qui nous guettait.