Mai 40 : j’ai 12ans. J’ai dû quitter mon village du Nord près de Lille avec toute ma famille. Les Belges nous avaient précédés sur les routes de France : c’était l’évacuation devant l’avance allemande. Hébergés d’abord dans la Somme chez des amis, nous sommes contraints dès le lendemain, de reprendre la route, une bombe étant tombée sur notre ferme.
Imaginez la scène : dans une carriole tirée par un vieux cheval : les valises, l’arrière-grand- mère et les trois petites-filles ; et, à pied, bien chargées , se trainant derrière la carriole, les 5 adultes : grand-mère, mère, tante, grand-tante, cousine (les maris étant tous les trois prisonniers en Allemagne) et… pas de roulettes aux valises….
A Amiens, nous subissons le terrible bombardement devant la cathédrale. Nous arrivons tout juste à prendre le dernier train pour les Basses-Pyrénées et arrivons enfin à St Jean Pied de Port où habite une cousine de mon oncle.
Et je nous revois -harde fatiguée- débarquant de la gare au moment de la sortie de la messe du dimanche : mon souvenir est-il exact ? Il me semble que les femmes étaient toutes en noir et avec un foulard ou une résille sur la tête. Tous regardent avec ahurissement ce groupe épuisé qui cherche la route d’Espagne….
Et quelques jours après, c’est le certificat d’études, ce fameux certif (en 1940, c’est important ce premier examen, première confrontation avec la réussite scolaire ! la scolarité n’étant obligatoire que jusqu’à 14 ans) Inscription sans délai : ouf.. c’est fait.. !…
Et voilà le grand jour… : ô ironie… .
Le sujet de rédaction est : « Qu’a-t-on fait dans votre ville pour accueillir les réfugiés ? » Que faire ? Que dire ? Sans me démonter, je décide d’interpréter le sujet qui devient : « Je viens d’arriver et je vais raconter comment j’ai été accueillie… » : bon réflexe d’adaptation, je crois…
Pour le chant, on me laisse le choix : et je chante avec une conviction toute patriotique « le régiment de Sambre et Meuse » sous l’œil humide de la vieille institutrice – enfin, elle me paraît vieille – qui m’écoute et me laisse débiter tous les couplets ( il faut dire qu’en ce temps –là, l’amour de la patrie était enseigné …et que les enfants des écoles allaient chanter devant le Monument aux Morts le 11 novembre…) …
Et bien sûr, je suis reçue ! Avec un peu d’amertume tout de même ; pas de 1er prix cantonal espéré par mon institutrice du Nord et surtout pas de cocarde ni de drapeau pour s’amuser dans les rues du village avec les copines, tradition du Nord ! Balivernes, certes, mais pas pour une petite fille de 12 ans (et 12 ans en 1940 n’a rien à voir avec 12 ans en 2010 !!)
Hébergés par la mairie, près du vieux pont, nous commençons à nous adapter à notre nouvelle région. Que dire de la découverte de ce paysage de montagnes qui me change du « plat pays qui est le mien » ? … de ces bonnes parties de pêche dans le gave avec seulement fil ou fourchette….., les pieds dans l’eau , et.. en slip (nous n’avions pas prévu d’emporter les maillots de bain .. !)
A l’école, c’est à mon tour de regarder, avec des yeux ronds, mes camarades manger des gros quignons de pain avec de gros morceaux de fromage du pays : nos fines tartines beurrées avec petites tablettes de chocolat me semblent tout à coup… bien fines !!!!
Et, 40ans plus tard, le hasard me ramène dans le coin et me voici installée définitivement dans les Pyrénées Atlantiques pour la retraite ! Adaptation facile ; aujourd’hui, la vie est sensiblement la même d’un bout à l’autre de la France : mêmes magasins , mêmes produits : foie gras du Sud-Ouest au Nord , frites et bière au sud – j’ai même trouvé un jour, ici, du fromage de Bergues ! – BERGUES ? –vous connaissez ? – les Chtis ? (mais Bergues n’est pas chti ) Et nos « racines » dans tout cela ??…….. Mais ceci est un autre sujet ……