Le bombardement de Versailles

En ce matin du 24 juin 1944, je m’apprêtai à me lever tranquillement pour me rendre à l’école, quand un vacarme soudain et inhabituel me fit bondir à la fenêtre : des avions avaient envahi le ciel versaillais. Les explosions étaient si fortes et si proches que je me dis : Cette fois « ils exagèrent » ! Puis la sirène ajouta son mugissement tardif et bien dérisoire. La sirène que nous avions entendu des dizaines de fois inutilement durant les mois précédents ! J’aperçus un avion qui largua à 1,5 km droit devant moi une fusée d’un rouge intense qui descendit à la verticale. Je compris qu’il s’agissait d’un marqueur et commençai à m’inquiéter: Cette fois, les bombardiers, des bimoteurs à basse altitude, ne faisaient pas que passer…

En y repensant, 72 ans plus tard, je réalise que les premières bombes, celles qui ont manqué leur objectif, la « gare des Chantiers », ont été larguées AVANT la fusée rouge. Peut-être les pilotes ont-ils confondu une gare avec une autre…? (Versailles en compte plusieurs)

Ma mère m’invita à descendre à la cave, mais je ne voulais pas rater le spectacle et je grimpai à l’étage pour avoir une vue plus dégagée. Le tout ne dura guère plus de 10 minutes.
Je me rendis à l’école comme d’habitude. J’y retrouvai la moitié environ de mes camarades. Le directeur de notre petite école privée eut un comportement que je juge aujourd’hui aberrant. Il nous déclara « il n’y aura pas d’école ce matin; allez voir ». Nous sommes donc ressortis de l’école.

A quelques centaines de mètres à peine, la rue était barrée par les décombres de deux maisons. Des sauveteurs improvisés, munis de pelles, s’employaient à les dégager*. Nous avons fait un détour par une rue parallèle. Tout était recouvert de poussière. Un matelas d’enfant était juché sur les fils téléphoniques . Qu’était devenu son occupant, me demandai-je ?
Nous sommes retournés à l’école. Parmi les élèves présents, j’en remarquai un qui se tenait silencieux; il était venu alors que sa maison jouxtait l’une de celles qui avaient reçu une bombe. Était-il en état de choc ?

Quelques minutes avant la chute des bombes, ma grande sœur était partie comme tous les matins pour l’hôpital où elle était élève-infirmière. Elle s’est abritée sous le porche d’entrée du lycée Hoche, sans même avoir l’idée ou le temps de se réfugier dans les abris sommaires creusés depuis 1939 sous les larges allées de l’avenue. Inutile de dire que sa journée fut chargée ! Elle ne fut pas autorisée à rentrer à midi; vous imaginez l’inquiétude de notre mère…

On dénombra au moins 200 morts…

Les versaillais se sont interrogés sur l’intérêt militaire de ce bombardement qui eut lieu à une heure de relative affluence. Une rumeur courut selon laquelle le raid avait été organisé sur la foi d’un renseignement erroné transmis à Londres par des résistants présomptueux…

*****

* On retrouva sous les décombres un vélo, mais pas le cycliste. Pas étonnant : C’était le gros lot d’une loterie qui devait se tenir quelques jours plus tard ! Il trônait dans la vitrine d’un magasin, le « domino bleu », et je l’admirais avec envie chaque fois que je passais devant…

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