Villefranque s’étire sur la rive droite de la Nive sur 10 kilomètres. Côté rive gauche, on voit le chemin de halage, aimable promenade de piétons, cyclistes, joggeurs, rollers… Mais il y a 100 ans a peine, ce chemin connaissait un trafic très important. C’est l’axe commercial qui permettait a Pampelune d’accéder a un port : les marchandises remontaient jusqu’au port de Larressore (rond-point Durruty actuel); elles étaient ensuite chargées sur des trains de mules qui regagnaient la capitale de la Navarre via les cols d’Otxondo et Velate. Devant l’inexistence de réseau routier, l’essentiel des échanges commerciaux s’effectue par voie fluviale et depuis Larressore par le chemin de halage pour éviter les côtes d’Ustaritz.
Etaient acheminés vers Bayonne : canons fabriqués à Baïgorry, laines de Navarre, meules à moulins de Bidarray et Louhossoa et des bois d’Iraty, qui descendaient la Nive par flottage. Dans l’autre sens, on transportait surtout les produits alimentaires : vin, grains, farine, sucre ou poissons. Les chalands à fond plat, de 10 à 12 mètres de long, portaient de 2 à 5 tonnes. Si la descente de la Nive ne posait pas de problèmes, il en était tout autrement pour la remontée. Il fallait 1 heure pour rallier Bayonne, mais 3 heures étaient nécessaires pour remonter la Nive.
La navigabilité
Le fleuve était navigable jusqu’à Chalanportua (en bas du camping d’Itxassou) et à l’époque romaine, il permettait de descendre les minerais depuis le Camp de César (derrière Intermarché). Pour les marchandises de la vallée, chaque quartier d’Ustaritz et de Bassussarry a son chemin qui descend directement vers la Nive : les kilos qui flottent sont moins lourds qu’à l’ordinaire ! La traction était effectuée par des chevaux, des bœufs mais aussi des hommes zirlinga (avec zirga la corde). On utilisait la marée montante et descendante pour faciliter la tâche.
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Zirlinga : halage par les hommes | Halage par les chevaux et une gabarre (avec mât pour la voile) |
Les marchandises
A Villefranque, on a transporté beaucoup de produits de carrière, de l’ophite principalement, la dernière gabarre a été coulée sur place en 1935, au Chalet de l’Isle. On a transporté également le gré coquillier qui a servi à construire en partie la cathédrale de Bayonne du XII° au XIV° siècle. Les salines de Bayonne acheminaient jusqu’à 1 800 tonnes de sel qui étaient entreposées sous les arceaux des quais de Bayonne (toutes les rues appelées aujourd’hui « Port de… » étaient à l’époque des canaux). Et toutes les marchandises qui descendaient de la vallée étaient embarquées et évitaient ainsi les rudes côtes d’Ustaritz et de Villefranque. On connait moins le transport de blé et de maïs qui a perduré jusqu’aux années 30 : le grain de Gascogne qui arrivait à Bayonne était remonté aux moulins de Haitsé, à Ustaritz, et de Poyloa, et redescendu en farine, dans les deux cas il reste le canal. Une gabarre git (entière) dans la vase à Hérauritz elle était à la fin conduite par M. Bétat de Villefranque.
Les ports
Tout cela supposait des aires d’embarquement et de débarquement. Le château de Miotz possédait Miotz Portua et sa grande maison. Au village, en amont de la passerelle, nous avons Portu Berria et la maison du même nom coté Hérauritz. D’après le cadastre napoléonien, il y avait une autre maison du nom de Portua côté Villefranque (station d’épuration ?), qui a dû être démolie lors de la construction de la voie de chemin de fer qui a modifié la configuration du port. Et enfin Compaïto (Gain Portua), en limite d’Ustaritz, avec la grande maison et celle qui est devant qui se nomme Portu Chipia. Au regard de la taille des maisons, il devait y avoir un trafic très important.
La maison Ur Hegian, avant Merlouenia, était la maison des gabarriers, donc le port du sel. Il est à noter qu’aux trois endroits il y avait un gué : le chemin de halage était en face.
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L’utilisation domestique
L’activité des Milafrangars se situait peu ou prou des deux côtés du fleuve. On transportait des vaches (dociles), des cochons (qui sautaient à l’eau)… On traversait pour venir à l’école, pour apporter le lait au ramasseur, pour aller à la messe et aux vêpres et revenir, pour aller à la fête, pour transporter le cercueil, pour venir chercher le pain, pour puiser l’eau potable à la fontaine. . . On allait à Bayonne pour le marché, pour l’école, pour le travail… on embarquait le vélo pour traverser. Pas de rames, tout le monde savait « godiller » ! On a même déménagé en barque. On a bien demandé un pont, en 1880 puis en 1945, mais il a fallu attendre le XXI° siècle pour avoir la passerelle, mais il n’y a plus ni vaches ni cochons. Seules les troupes de Napoléon et de Wellington, puis les Allemands ont installé un pont de bateaux.
Le gué de Bellegarde est aussi célèbre pour la « franchise » qu’il permettait face à Bayonne. Mais pas seulement, les contrebandiers, les résistants et les clandestins de tout poil l’ont trouvé bien pratique, de plus il y avait toujours des barques à disposition ! Et n’oublions pas la gabarre de Julien « Xokoli » qui a desservi la Nive jusqu’en 1953.
Le port de Portuberria : on voit la cale d’embarquement contre la voie
Le pont de Proudines
Sanche de Lahet et Guillaume-Arnaud III de Saint-Pée, avec trois autres seigneurs labourdins dont Martin, seigneur d’Urtubie, G. Arnaud de Sault (Zaldun) et son fils Auger, bailli du Labourd, et le sieur Larralde, connurent une fin tragique (ils étaient sinon les plus grands et les plus anciens seigneurs du Labourd, du moins certains de ceux-ci).
Les marchandises ne payaient pas l’octroi pour franchir la Nive à Bayonne, elles passaient en franchise à « Ville Franche » au pont en bois de Proudines, en bas du château de Miotz. Alors que le dimanche 24 août 1343, ils se trouvaient réunis à Villefranque pour les fêtes de la Saint-Barthélémy au château de Miotz, ils furent gardés prisonniers, ayant été surpris de nuit par une bande armée conduite par Pés de Puyanne.
Le lendemain 25 août, sur ordre de Pés de Puyanne, ils furent attachés aux arches du pont de Proudines à marée basse « pour vérifier si la marée montait » afin de les faire disparaitre à la marée montante ; cet ordre monstrueux a été exécuté.
Le litige portait sur le fait que des gardes bayonnais, placés sur le pont de Proudines, entre Villefranque et Ustaritz, pour percevoir les droits imposés, avaient été jetés à l’eau par des labourdins (qui contestaient ce droit limité au domaine de la marée, du fait que, d’après eux, toutes les marées n’atteignaient pas ce pont). Ce qui, si cela était peut-être vrai pour les faibles coefficients, ne l’était pas le jour ou de Puyanne proposa aux seigneurs labourdins une expérimentation in situ!
Les cinq seigneurs du Labourd furent éliminés et Pés de Puyanne étendit son pouvoir sans partage sur tout le Labourd.
Association Jakintza – Villefranque