Vers l’âge de dix ans, j’ai ressenti un jour un sentiment d’injustice, qui s’est transformé en une haine profonde à l’encontre d’un camarade malveillant.
Nous sommes plusieurs élèves à discuter dans la cour de récréation. Je suis le plus petit de la bande et j’écoute timidement les avis des autres camarades. Certains parlent plutôt pour se mettre en valeur que pour divulguer des idées intéressantes. L’un d’eux en particulier, le plus grand par sa taille, mène le débat, harangue, fanfaronne sur un ton qui se veut magistral.
A un moment donné je suis surpris par une erreur flagrante et je me permets d’intervenir pour affirmer le contraire. Notre tribun suffoque devant ma contradiction car il n’aime pas perdre la face. En me toisant, il me lance d’un ton persifleur : « Toi la ferme ! Tout le monde sait que ton père suce les pissenlits par la racine » Suprême injure assassine, que je reçois en plein cœur comme un coup de poignard. Injure à mon père disparu que je n’ai pas connu, mais qui vit dans mon esprit comme un symbole immortel. En un instant je deviens l’Hercule de la Mythologie, mes forces décuplent, mon regard s’enflamme. Je me précipite sur l’énergumène qui fait deux têtes de plus que moi. En un instant le garçon est renversé, terrassé, submergé par un flot de coups. J’entends mes camarades affolés qui crient « Séparez les, il va le tuer ! ».
Le combat cesse, mon intervention brutale vient d’atomiser l’adversaire qui s’éloigne en titubant. De mon côté je reprends mon calme sous les regards admiratifs de mes camarades qui approuvent mon attitude, médusés de ma riposte courageuse et énergique.
L’instituteur accourt vers l’attroupement. Dès son arrivée, une dizaine d’avocats plaident ma cause et me justifient. Il n’y aura pas de sanction, l’incident est clos.
Plus tard, se rappelant de la raclée, revenant à de meilleurs sentiments, mon adversaire viendra me faire des excuses.
Ce jour là, j’ai pris conscience que mon père était toujours avec moi et me donnait la force d’agir.