Carnet de guerre -1-

2ème Carnet de notes d’un territorial de la classe 92 mobilisé‚ le 9 Décembre à Pau au 143e territ. Envoyé à Nîmes le 15 du même mois, sur le front depuis le 23 février et pendant ces trois mois passés ayant à peu près  régulièrement pris le service aux tranchées de la manière suivante : 4 jours en 1ère ligne et 4 en deuxième, huit jours de repos.

Signé :

Lagarrue Pierre, 6e Compagnie, du 117 e territorial

Mes impressions :

Depuis plus de trois mois que je suis sur le front, je constate que les progrès réalisés en notre faveur sont bien au-dessous de ce que l’on espérait.  Avec une certaine impatience on attendait le beau temps pour voir se produire ce qu’on appelait la grande poussée. Au lieu de cette grande poussée générale sur tout le front à la fois, comme le croyaient beaucoup qui comme moi n’entendent rien en stratégie et n’ont pas les renseignements que possède l’Etat-major qui nous dirige et en qui j’ai grande confiance, on a poussé seulement sur certains points importants par leur situation.

      Ces positions ont été enlevées par nos troupes, mais au prix d’énormes sacrifices, ce qui je crois, doit donner à réfléchir à ceux-là qui réclament plus d’activité sans réfléchir aux conséquences. Plus on va et plus on s’aperçoit que nous avons affaire à un adversaire très fort parce que très  uni, patriote avant tout, dirigé par une main très ferme, plutôt brutale, dominé par l’élément militaire ; il avait tout organisé, préparé, prévu avec beaucoup de méthode et de sens pratique. A ses armements menaçants, on avait répondu par un commencement de désarmement, une diminution de nos cadres par la loi de deux ans.

(…)

1er Juin

      Je suis arrivé la veille à dix heures à Prosnes, ce village complètement détruit, ayant été le théâtre de plusieurs combats ; notre compagnie vient relever une autre compagnie du même bataillon qui va prendre notre place au repos pendant les huit jours que nous faisons à chaque période. Mon escouade a été désignée pour le service de la police ; nous nous arrêtons donc au poste qui se trouve à l’entrée du village et le reste de la compagnie pousse jusqu’aux  troisièmes lignes. Pendant la journée nous assurons le service des passages, contrôlant les permis des passants, tous militaires ; depuis Sept-Saulx on ne rencontre plus de civils.

A six heures nous sommes relevés et nous allons occuper nos gourbis en 3ème ligne. Tous les meilleurs étaient déjà pris ; avec un camarade nous en prenons un très bien d’apparence mais qui en entrant dégage une odeur infecte. Les rats n’ont pas l’air de s’intimider de nous voir et se promènent en maîtres. Je m’y endors très bien, ayant du sommeil en retard, mais à dix heures et demie mon camarade me réveille un peu effrayé ; on entend un fracas énorme d’artillerie ; les coups se succèdent tellement vite qu’on ne peut guère distinguer les coups. Tout le monde est dehors ; l’ennemi riposte à peine par quelques obus.

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1er août

            Au matin, les Boches reprennent leur bombardement  et avec la même fureur ; de temps en temps, ils envoient quelques rafales sur les villages environnants.

C’est  le jour anniversaire de la mobilisation des armées, jour mémorable dont l’impression ne s’effacera jamais de ma mémoire. La France, tant de fois humiliée, menacée encore de nouveau dans son honneur et son existence, faisant l’appel aux armées de tous ses citoyens, par la voix des cloches et des  tambours, faisant retentir les airs jusqu’au plus petit coin de nos paisibles villages. Je reporte mon souvenir à cette soirée qui couronna une journée des plus laborieuses de moisson, toute la jeunesse courant d’un côté à l’autre, lisant les affiches, consultant les livrets et ne s’abordant que par cette demande : « Quand est-ce que tu pars ? ». Oui, on était bien résigné à accomplir tout son devoir, on prévoyait qu’il pourrait être bien pénible, on savait que tous ne reviendraient pas, mais où les prévisions  restaient bien au-dessous de ce qui devait arriver, c’était quand on parlait du retour probable. Personne qui croyait rester plus de six mois, mais aussi personne n’osait penser que nous étions dans un tel état d’infériorité vis-à-vis de nos adversaires ; on savait que notre défense nationale n’était pas à la hauteur de ce qu’elle aurait dû être, on ne la croyait pas si négligée et il y avait un certain enthousiasme à dire qu’on allait venger nos pères de 70, libérer nos frères d’Alsace qui attendaient ce jour depuis 44 ans. J’étais descendu au village ; il  y avait une bonne partie de cette vaillante jeunesse de Nousty que j’aimais tant, calme, honnête, laborieuse, plus peut-être dans son ensemble qu’on ne l’en avait jamais vue. Mon cœur se serrait et de mes yeux s’échappaient quelques larmes en pensant que de ces braves amis qui me serraient la main et que j’encourageais de mon mieux, un certain nombre ne reviendraient pas. Pour moi, faisant partie de la réserve de l’armée territoriale, porté sur mon livret pour la réquisition des chevaux et voitures, je prévoyais ma tâche bien facile et tout au plus pensais-je pouvoir être appelé au service des places ou à la garde des voies ou aqueducs. J’étais bien loin de supposer que dans un an, je serais en Woëvre, au pied de la crête des Eparges, montant la garde derrière un créneau en 1ère ligne, face aux Boches qui font des efforts, après avoir envahi une bonne partie du Nord-Est de la France, de cerner Verdun pour l’enlever. C’est pourtant sur ce point que je suis condamné aujourd’hui encore à subir ce feu des pièces lourdes de notre ennemi qui font sa supériorité.
Pendant un moment leur tir se rapproche de nous, les éclats pleuvent drus, nous nous terrons à l’intérieur de nos gourbis.

(…)

Jeudi 11 novembre

            A huit heures, compagnie par compagnie, nous allons sur le terrain de manœuvre faire divers exercices ; le colonel vient nous y voir, fait sonner l’alerte pour nous exercer à mettre très vite les tampons masques contre les gaz asphyxiants et finalement ordonne qu’on rentre ainsi masqués. La marche est bien difficile  parce qu’on n’y voit presque pas et il y a de passages difficiles à cause de l’eau et de la boue qu’il faut traverser. On arrive cependant sans accident ; à une heure nous allons faire compléter encore ces tampons masques. A mon retour on m’annonce que je suis commandé de garde pour ce soir ;  je m’y prépare après avoir écrit quelques lettres et à la tombée de la nuit sous la conduite d’un caporal avec trois autres camarades de l’escouade nous rejoignons notre poste. Le service n’est pas difficile ; nous avons une bonne couche de paille pour dormir.

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Mercredi 20 novembre

            A cinq heures, deux camarades qui vont avec moi m’appellent et nous voilà partis. A huit heures nous arrivons à Fontaine Robert, nous nettoyons, mangeons un peu aux cuisines et à neuf heures nous nous alignons, mettons nos sacs sur une voiture et en route. La neige tombe abondamment et forme couche. Vers onze heures nous commençons à apercevoir des habitations. Quelle joie pour moi quand j’aperçois les premiers civils après avoir vécu plus de cinq mois dans des bois cachés comme un malfaiteur. Ces vieillards me rappellent mes parents, ma mère si courageuse, mon père qui n’est plus, ces jeunes mères, ma pauvre Marie qui se tue à me remplacer ; dans les enfants je cherche l’image des miens. Déjà il me semble que je respire une autre vie. La journée se passe à nous installer. On rassemble par groupes ; nous sommes logés dans un grenier où l’on monte par une échelle posée sur la rue ; il y a de la paille en abondance.

(…)

 

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