Seul le nom demeure inscrit au panneau signalétique du chemin qui garde encore la mémoire du lieu : « Chemin ERROBI-ALDE », au delà de Cam-de-Prats, prolongeant le Chemin de Jacquemin en direction de Glain et de la voie ferrée.
Les vieux Bayonnais doivent se souvenir de la Villa Errobi-Alde, blanche aux volets rouges, élevée entre les ramures des cèdres, des acacias et des châtaigniers sur la colline en surplomb de la Nive, entre les voies ferrées d’Espagne, d’Orthez et de Saint-Jean-Pied-de-Port.
Elle était la propriété en indivision des enfants S. Monsieur S. avait un magasin de mercerie/lingerie-farces et attrapes, Rue du Pilori, un peu au dessus du magasin de la Presse de Monsieur M.C.. Ses deux sœurs, les Demoiselles S., résidaient aux Arènes et avaient ouvert un magasin farces et attrapes Rue Marengo.
En 1957, la famille S. mit en vente Errobi-Alde et nos parents ne se sont pas portés acquéreurs. Depuis 1957, elle a changé plusieurs fois de propriétaire et le grand terrain a fini par séduire un promoteur. La voracité du marché immobilier a rasé maison et colline pour agrandir l’espace et édifier une Résidence qui offre aujourd’hui une architecture moderne au nom d’un peintre Italien sans rapport avec le lieu, l’histoire de Bayonne ou notre cher et pittoresque pays Basque.
C’est ce précieux écrin aujourd’hui disparu que je souhaite évoquer avec des présentations de scènes de la vie des années cinquante de mon enfance, sortes de tableaux qui témoignent de ces jours où on pouvait apprécier d’avoir encore le temps d’être heureux dans des bonheurs simples.
Accès routier
Le pont de l’Aviron Bayonnais n’existait pas encore.
En voiture, on accédait par la Porte de Mousserolles et la côte de Cam-de-Prats bordée de champs herbeux où les garçons jouaient au ballon à côté des jeeps et tentes des Américains généreux en chewing-gum verts et plats à la chlorophylle.
Avant de quitter la route de Saint-Pierre-d-Irube pour prendre à droite le Chemin de Jacquemin, je regardais le store de l’épicerie de Madame D. qui nous vendait, pour dix francs de l’époque -pièce cuivre jaune-, des chewing-gum billes multicolores dans un pot en verre. Un jour de fête des mères, j’avais eu la mauvaise idée d’y acheter une eau de violette entêtante.
Les coureurs du tour de France passaient devant l’entrée du Chemin de Jacquemin où nous nous rassemblions pour voir passer les champions. La caravane déversait des flots de musique accordéon, valses et micros tonitruants, jetant à la volée des casquettes pare-soleil, des journaux et illustrés, des échantillons pour les cheveux, des parures d’indien en plumes découpées dans le papier.
Le Chemin de Jacquemin, ensuite, était bordé à droite de hauts talus où les fougères déroulaient leurs crosses que j’observais, à mes retours d’école, par l’ouverture de mon capuchon de caoutchouc. En face, il y avait les mêmes maisons d’habitation qu’aujourd’hui.
Ce chemin se terminait en patte d’oie. La voie la plus extrême à gauche conduisait à l’atelier du menuisier Monsieur P.. Il desservait ensuite les fermes où nous allions chercher le bon lait crémeux de la traite du matin dans un bidon à lait à anse en aluminium, à couvercle rond encastrable dans le col du bidon.
Au milieu de la patte d’oie, c’était la descente abrupte vers la Villa Jacquemin, propriété du Docteur H.G.. Avant d’accéder au sable de son allée, à mi-côte, il fallait éviter courageusement les crocs de Miquette, petit loulou blanc de Poméranie de Madame D. et passer devant la passerelle odorante de glycines de l’habitation à étage en bord de Nive des jardinier, chauffeur et blanchisseuse de Monsieur F. de la Villa Aurouze.
Plus à droite de la descente abrupte, l’entrée de la Villa Aurouze: une allée de graviers impeccablement ratissés que bordaient les bouquets de rosiers et d’hortensias.
Encore plus à droite et décalée vers le bas, l’entrée d’Errobi-Alde, entre deux piles à boules et des chaînes où nous nous balancions en attendant notre tour de vélo et au-delà desquelles prenait l’allée de platanes.
A pied, par le chemin de halage.
L’accès piétonnier se faisait depuis le chemin de halage en bord de Nive, à l’ombrage des grands platanes; on l’empruntait dans les deux sens.
Pour se rendre à pied d’Errobi-Alde vers le Centre Ville de Bayonne ou les Halles, on descendait à travers le bois d’acacias. Nous traversions la voie ferrée au passage à niveau de Glain, avant de prendre, devant la grange qui abritait à la saison des groupes de Scouts, Jeannettes ou Louveteaux, ce fameux chemin qui rassemblait, à droite comme à gauche, des activités pittoresques.
On y trouvait l’habitation de la famille H. dont le père avait perdu une jambe à la guerre de 14 et dont la fille M. m’apprenait à siffler entre les doigts. Il y avait peu après, des baraquements à cochons dont, à la fin de l’hiver, nous entendions les hurlements puisque la saison était venue de les tuer.
Il y avait aussi des ateliers : la forge de Monsieur L., l’atelier du menuisier F., la remise du tapissier D. de la Rue des Basques, l’atelier mécanique, le champignonniste B., l’atelier du nickeleur L., la baignade de la Nive et le garage du carrossier M..
L’air était chargé d’odeurs de fumier, des canards et des pigeons qui traversaient la chaussée jonchée de débris de paille.
Ce chemin prenait fin à l’angle de la caserne devant la guérite du garde casqué un peu avant le pont du Génie que nous traversions pour entrer dans les vieilles rues de la ville.
La vue depuis Errobi-Alde
La position de la Villa, sur le point le plus élevé de Bayonne Sud, lui donnait d’être exposée à tous les vents, certes, mais aussi une vue imprenable à trois cent soixante degrés sur la Ville, la Rhune et toute la chaîne des Pyrénées.
Le paysage donc, s’étendait au Sud en printemps de cimes enneigées, bleues et découpées au vent d’Espagne en été ou d’automne rouille des fougères.
Au Nord, les remparts de Vauban, la Nive de l’Aviron et le chemin de halage, la caserne dont en entendait claironner le lever des couleurs ou, dans l’après-midi, la répétition des défilés et musique militaire, l’Arsenal, la Cathédrale Sainte-Marie et les tours carrées de l’église Saint-André.
A l’Ouest, le phare de Biarritz balayait la nuit, et, en journée, sur les rails de l’actuel TGV passaient le « rapide de Paris », train de voyageurs en provenance d’Irun, ou des trains de marchandises dont les locomotives à vapeur assombrissaient le ciel de leur panache de fumée noire diffusant une bonne odeur de bois. En ces années, les trains ne manquaient pas de siffler pour prévenir de leur arrivée au passage à niveau de Glain.
En automne et au printemps, on observait en journée les grands vols des oiseaux migrateurs, et notamment des grues.
I. Technologie et travaux ménagers
Les appareils électroménagers commençaient à peine à arriver dans nos maisons. Papa, ingénieur à l’E.D.F., était bien « placé » pour être à la « pointe » de la technologie.
Le moulin à café mécanique
Le café moulu sous vide, les sachets doses sont de commercialisation et d’usage récents.
Mes parents étaient grands amateurs de cafés dits « filtres ».
Ils achetaient leur mélange de café en grain dans le magasin de torréfaction de la Rue des Tonneliers, « A. Nectar ».
On rangeait le moulin à café sur le rebord de la cheminée de la cuisine, à côté des pots en tôle peinte aux couleurs de la poudre E. chocolatée d’avant guerre de 39: «E. c’est exquis».
Le moulin à café était un cube évidé en bois verni, muni d’une sorte de « coupole » supérieure en métal qu’on remplissait de grains en ouvrant latéralement la demi-sphère. De son tiroir inférieur on versait la poudre du café moulu dans le filtre de la cafetière aluminium.
Généralement, il portait l’écusson du fabricant.
Sa poignée supérieure centrale actionnait une vis qui faisait pénétrer les grains de café de la « coupole-réservoir » dans la meule d’acier.
En position assise, on coinçait le moulin entre les genoux en maintenant d’une main le corps du moulin et le couvercle. L’autre main actionnait la poignée d’un mouvement circulaire, avec force et dextérité.
La torréfaction de la Rue Poissonnerie répand encore le bon parfum de café quartier des Halles.
Le Garde-manger
Point encore de réfrigérateur ni de congélateur. Dans la cuisine, le garde-manger faisait partie des murs de la maison. En hiver on y entreposait la crème de lait qu’on réservait au goûter de mes ainés. En été maman mettait du lait à cailler dans des ramequins pour faire des yaourts ou du kéfir.
Les deux portes antérieures ouvraient sur des étagères en bois. La partie arrière, en profondeur, c’était l’ouverture du mur sur le patio, munie d’un grillage assez fin pour laisser l’air circuler sans permettre aux insectes d’accéder à la nourriture entreposée sur les étagères.
La Glacière
Complément du garde-manger en été, la glacière était donc utile avant l’arrivée du réfrigérateur. C’était un meuble en bois à étagères, de volume et hauteur proche d’un plus contemporain « table-top », aux parois intérieures tapissées de feuilles pointées de zinc gris. Le bac zingué de la partie inférieure recevait le pain de glace qu’on allait chercher et qu’on plaçait après l’avoir taillé à la bonne dimension. On conservait ainsi le beurre et les aliments d’une journée ou deux…
L’ évier
Dans l’évier de faïence émaillé blanc, on faisait la vaisselle dans des bassines en faisant chauffer de l’eau dans la bouilloire électrique. On la versait dans la bassine en complément de l’unique robinet d’eau froide. Je me rappelle M. s’y lavant les cheveux; lors du dernier rinçage elle ajoutait quelques gouttes de vinaigre à son eau pour leur donner éclat et brillance.
L’ Aspirateur
Notre premier aspirateur-traîneau était un « B.» à corps métallique. Il a rendu obsolète le balai et la barrette utilisée pour curer les raies du plancher. Le passage était facile, mais le vidage du sac à poussières en tissu particulièrement héroïque en l’absence de protection d’un masque contre les poussières, car il fallait le secouer et le retourner pour brosser les poussières incrustées dans les coutures du sac.
Il a cependant transformé l’activité ménage !
La Cuisinière électrique
Mes parents avaient acheté une cuisinière « S. » quatre feux et four qui disposait d’une sole et d’une résistance haute. Mais la porte du four était pleine, « aveugle » en quelque sorte, et il était nécessaire d’ouvrir la porte pour apprécier le stade de cuisson, ce qui rendait la réussite d’un soufflé particulièrement périlleuse!
Le Téléphone
L’appareil en ébonite noir était fixé verticalement au mur, le combiné au-dessus du corps du téléphone. On téléphonait alors debout.
On composait des numéros sur un cadran à chiffres et lettres; notre numéro comportait 5 chiffres: c’était le 522 04.
Le lavoir et la lessive
Notre première machine à laver le linge date d’avant 1957: une « B. » à agitateur vertical et essorage à rouleaux. Pour essorer le linge, un drap par exemple, il fallait l’introduire entre les deux rouleaux assez serrés, et tourner la manivelle qui entraînait les rouleaux, et comme on n’arrivait pas à introduire de façon régulière l’épaisseur du drap, cet essorage mécanique était difficile: il fallait être costaud. Malgré la force que cela demandait, en dépit des brûlures qu’on se faisait avec le linge chaud, c’était tout de même un réel progrès, qui permettait de laver son linge soi-même à domicile, en le faisant bouillir sans lessiveuse et le rinçant sans lavoir.
Jusque-là, le lavage se faisait dans le garage à l’aide d’une lessiveuse classique où l’on faisait bouillir le linge sur un réchaud. Puis, M., la blanchisseuse du quartier, venait le rincer à l’eau froide dans le lavoir situé lui aussi dans le garage.
Mais je préférais lui rendre visite au lavoir de la Villa Aurouze, bien aménagé, vaste, situé dans une grange en bord de Nive qui servait aussi de remise aux outils de jardin, corbeilles en lattes de châtaignier à anse qu’on portait sur l’épaule pour ramasser les feuilles par exemple.
Le bâtiment est encore visible du chemin de halage entre Aviron et Floride, mais apparaît aujourd’hui comme un ensemble en attente de restauration, dépourvu de charpente. Alors, il était mal isolé du froid; poutres et tuiles étaient apparentes. Un fil électrique tissu muni de douille et d’abat-jour en verre éclairait en un seul point central.
Pour entrer au lavoir, on descendait quelques marches de pierre, et, immédiatement, on observait des tréteaux habillés de laines et cotons bariolés-délavés-effilochés sur lesquels on posait le linge.
On y trouvait un morceau de bleu, le cube émoussé-gercé-fissuré du savon de Marseille, une bouteille d’eau de Javel jaune comme un jus de citron et son bouchon de liège blanchi, une boule de mastic huilé-lin-séché, utile pour remplacer les vitres des fenêtres, enfumées des toiles noires d’araignées.
Au fond de la pièce, un foyer bas au feu crépitant sous la lessiveuse à cheminée avec le linge en train de bouillir.
Pour allumer le feu sous la lessiveuse, M. roulait le journal en boules qu’elle intercalait entre le petit bois et les pignes et qu’elle enflammait d’une allumette.
Il y avait deux bassins carrés auxquels on accédait en descendant deux marches. Le bassin de droite était réservé au savon; celui de gauche, au rinçage à l’eau claire.
M. se penchait en avant pour plonger le drap qui surnageait et déployait dans l’eau du premier bassin ses ailes de papillon. Puis, le ramenant sur le plan incliné devant elle, elle le battait et le frottait avec la brosse chiendent. Quand elle l’estimait propre, elle le versait dans la lessiveuse. Ensuite, de la lessiveuse, on faisait passer le linge dans le bassin à rincer…et ainsi de suite, de tout le linge.
Après rinçage, elle ramassait en boule, pressait et tordait le linge à la main, avant de le mettre à égoutter sur les tréteaux. Une fois bien égoutté, le linge était prêt à être étendu sur des fils en fer, à l’intérieur de la grange ou parfois dehors, dans les allées du jardin potager.
Le travail de la blanchisseuse était dur, car, si la lessiveuse permettait de bouillir le linge, il fallait cependant, en toute saison, plonger mains et bras dans l’eau froide, et M. en souffrait. Cette tâche comportait multiples manutentions, des mouvements vertébraux de rotation et des postures que l’ergonomie actuelle réprouverait.
Périodiquement, les bassins étaient vidés pour effectuer ce qu’on appellerait « maintenance » : vérifier l’étanchéité de la bonde -bouchon de bois emmailloté dans des tissus et qu’on entrait en force dans la buse d’évacuation du bassin-, enlever les dépôts de savon et racler algues et mousses qui adhéraient aux parois.
Le fer à repasser
Nous avions un des premiers fer à repasser électrique à chaleur sèche. Pour avoir le même effet qu’un fer électrique à vapeur ultérieur, ou pour repasser le linge délicat, on utilisait une « patte-mouille », pièce de coton ou de lin mouillé qu’on interposait entre la semelle du fer et le linge à repasser.
La veille du jour de repassage, on « préparait » le linge en l’arrosant légèrement d’eau du bout des doigts qu’on avait préalablement trempés dans une cuvette d’eau. Puis, on roulait chaque pièce séparément dans la corbeille. L’humidité ainsi bien répartie facilitait l’effacement des plis et rendait meilleur effet au repassage.
Pour nettoyer la semelle tâchée d’un fer, ou pour la rendre plus douce, on « repassait » une bougie sur un journal…
La mode était aussi aux cols amidonnés qu’on « préparait » avant de les repasser en les trempant dans une bassine d’empois.
Machine à coudre mécanique et couturière
Nous avions la machine à coudre mécanique « N. » de notre grand-mère. Comme la « S. » plus répandue, il s’agissait d’un meuble en bois avec tiroirs et pied en fonte ouvragée. Le pédalier entraînait la roue par une courroie en cuir munie d’une agrafe, qui actionnait le mécanisme de couture avec pied et réglage de la grandeur des points et l’épaisseur des tissus; on devait préparer des canettes à insérer dans une cavité sous-jacente…
Maman achetait velours, popeline, finette, au mètre, dans le magasin en étage de Monsieur B. Rue Victor Hugo.
Tous les jeudis après-midi, une couturière de la Rue Bourgneuf, Madame M.B., venait coudre à la maison. Dans les pièces de coton, de drap ou de percale, elle confectionnait des tabliers et le linge de maison d’usage courant : torchons, nappes, serviettes de table, taies d’oreillers, traversins, petits draps, coussins, par exemple.
Dans le velours, la toile ou la finette, s’aidant des patrons qu’elle reportait à la craie sur le tissu, elle taillait aussi corsaires et marinières, pyjamas, robes de chambre et chemises de nuit.
Elle était une aide précieuse dans un temps ou le prêt-à-porter n’était pas développé.
Chauffage central, chaudière, radiateurs électriques et eau chaude
L’isolation défectueuse des murs et des ouvertures générait des courants d’air et rendait les deux étages de la maison très difficiles à chauffer. Des radiateurs électriques supplémentaient le chauffage central.
Cette installation comportait une chaudière à charbon et des radiateurs en fonte répartis dans toutes les pièces et qu’on purgeait très régulièrement.
On nous livrait deux fois par an en coke dans une réserve attenante à la chaudière dont, plusieurs fois par jour, il fallait en ravitailler la gueule en enfournant des pelletées de combustible et en tisonner la grille pour faire tomber dans un bac la cendre utilisée pour combler les ornières du chemin.
Toutes ces opérations généraient beaucoup de poussières et une odeur spécifique qui imprégnait le local.
Le circuit d’eau chaude était indépendant de l’installation du chauffage. Il était servi par un cumulus électrique, long à chauffer. Enfants, il n’était pas rare de partager l’eau du bain par soucis d’économie en eau chaude.
II. Les courses, commerçants, artisans
L’atelier du Tapissier E.D. de la Rue des Basques
La Rue des Basques garde encore aujourd’hui un parfum particulier, certainement plus celui de l’atelier du Tapissier E.D. dont magasin et atelier s’ouvraient en hautes baies que fermaient la nuit plusieurs hauts panneaux de bois qu’E. accrochait. Son fils R. avait gardé atelier à la « Plachotte » et magasin Rue des Basques.
Le tapissier était, en ces temps, à la fois conseiller décorateur et artisan tapissier.
E. prenait les mesures, proposait son projet, réalisait la pièce et venait l’installer à domicile, mobilier ou rideaux, tombées ou voilages, embrasses et cantonnières: spécialiste en tout, il ne sous-traitait pas.
A la Rue des Basques, on entrait dans l’atelier-boutique par une petite porte latérale, et on s’approchait entre les tréteaux qui supportaient les tissus d’ameublement, ou une grande planche support en hauteur du matelas de laine par exemple qu’E. était en train de coudre. Suspendus au mur des classeurs-échantillons de tissus crantés bordés de papier au nom et références des divers fournisseurs.
On trouvait de la laine, des toiles à matelas et de lin, du kapok, du crin végétal pour rembourrer fauteuils, canapés ou sommiers à ressorts.
Dans cette atmosphère feutrée les tissus absorbaient les sons; le marteau s’entendait à peine derrière le ronronnement régulier de la machine à coudre mécanique Singer à pédale de F.
Si on n’entrait pas, de la rue, on prenait le temps de saluer F. derrière la devanture, éclairée par la lumière horizontale de la « S. ». Elle nous souriait, les lunettes au bout du nez, la main posée sur la roue pour freiner la courroie de cuir brun et nous disait: « Bonjour! Vous allez bien ? ».
Les Halles
Il s’agissait d’un édifice début de siècle dont on parle aujourd’hui comme des « anciennes halles » qu’une architecture moderne de 1958 avait remplacées. Celles donc de mon enfance, étaient hautes et bruyantes de toutes les criées, invectives, plaisanteries qui fusaient de tous côtés, avec sol bétonné mouillé et des portes hautes à claire voie, regroupant plusieurs secteurs marchands.
M. et G., en tablier de toile bleu à poche ventrale vendaient les légumes qu’elles pesaient sur les plateaux oxydés de leur balance avec des poids en fonte noire hexagonaux munis d’un anneau. Parfois, elles utilisaient leur balance romaine à crochet. On en voit encore en usage chez les paysans le samedi matin.
Le commis boucher R. en grand tablier blanc noué derrière le dos gardait l’étal aux halles pendant que son patron, M.P. taillait bavette Rue Marengo; C.D. écaillait la dorade pendant que la crémière et le marchand de fromage G. trônaient derrière les meules de Gruyère et de Hollande…
La mode, pour les ménagères n’était ni au caddie ni au couffin mais au cabas noir en toile imperméable ou au panier rond en osier tressé avec anse.
III. Verger, potager et prairies
Errobi-Alde possédait un verger dont nous cueillions facilement pommes, poires, pérouilles, cerises, prunes, et un potager que cultivait Monsieur S.
C’est aussi au potager qu’on allait vider les pelures pour le compost et aseptisions le bourrieren l’enflammant d’alcool à brûler…
La villa était aussi bordée de prairies vastes découvertes et plantées en arbres où poussait un foin apprécié pour sa qualité.
Avant les tondeuses mécaniques ou auto-portées, et avant la lame du tracteur, on faisait appel, en Juin, à une équipe de faucheurs qui, de leurs faux abattait les hautes herbes en quelques jours. Il y avait les foins, puis vers le mois d’Août, le regain.
Le faucheur: les foins
Les rayons vermeils de Juin m’éveillaient aux pépiements des moineaux et surtout, au son sec du marteau sur l’enclume et du léger glissement régulier de la faux sur les herbes…
Les parfums montaient: suc odorant de l’herbe fraîchement coupée; celle, acre, de la sueur au cou, tempes et nuque; parfum du tabac gris dans blague-latex-rouge qui se dépliait en vrille.
Des couleurs se détachaient : brun-mat du cuir adossé au tronc d’acacia : xahakoa de rosé; noirs béret-gilet-large-ceinture laine où s’accrochait la corne d’eau où baignait la pierre grise à aiguiser; chemise quadrillée sans col; pantalon rayé terre-brûlée; ombres bleues des platanes; châtaigniers vert tendre des fleurs en bâtonnets…
Penché vers l’avant, P. glissait dans le mouvement déhanché d’un pied puis de l’autre au ras du sol, comme patinant sur le miroir chlorophylle de la prairie. Sous la lame de la faux, les tiges vibraient et chutaient en haies allongées d’étamines, laissant, après son passage, le champ glabre piqué de touffes pâles rases.
Dessus-dessous-dessus-dessous-dessus-dessous-dessus-dessous, le va-et-vient de la pierre sur la lame incurvée: P. aiguisait la lame en position debout, le manche de la faux dressé. Il s’asseyait parfois, les jambes à quarante cinq degrés pour planter jusqu’à l’étoile son enclume étroite afin de battre le tranchant meurtri de la lame qu’il égalisait avec son marteau. On voyait alors ses chevilles émerger des sabots tapissés de paille. Périodiquement, de la pulpe des doigts, il appréciait son travail sur le fil de la lame; s’il n’était pas satisfait, il reprenait de battre. En fin, il verrouillait à nouveau la lame sur le manche de bois en insérant une cale.
Une fine feuille de papier cigarette tirée d’un mince distributeur rectangulaire bleu et doré suspendue à sa lèvre inférieure, il sortait la blague-latex-rouge de sa poche pour trier les fibres de tabac qu’il tassait ensuite et roulait serré dans la feuille modelée en goulotte. Puis, ayant léché les bords du papier qui s’encollaient, de la grande flamme du briquet à essence, il allumait sa cigarette qui goudronnait du bout.
Ou bien, il élevait au-dessus de sa tête en arrière le xahakoa au bouchon ébène dévissé que tenait le cordon rouge, et, d’une pression délicate de l’outre tenue à bout de bras, les lèvres corrigées recevaient le mince filet rosé. A chaque gorgée, j’observais sa pomme d’Adam naviguer à son cou sous les plis difficiles à raser…
A midi, J. lui apportait des œufs sur le plat et il faisait des mouillettes…
De jour en jour on venait retourner le foin en aérant les herbes à l’aide d’un râteau de châtaignier à double rangée de dents alternées. La base était inclinée sur le manche. Les dents parallèles au sol peignaient ainsi le foin et le geste du faneur était d’égale ampleur à celui du semeur. Quand le soleil eut accompli son œuvre, on disposait le foin en rangée ou en meule conique pour en faciliter le ramassage à la fourche. On piquait les gerbes et les élevait bien haut pour en remplir le plateau de la charrette aux grandes roues en bois rayonnées et cerclées de fer qui produisaient un son bien spécifique sur les cailloux du chemin. M.H. de la ferme de Glain conduisait l’attelage, l’aiguillon de l’épaule au joug, aidée de son chien Papouille qui mordait les jarrets des vaches nonchalantes. J’observais le généreux filet de bave qui oscillait à chaque pas du museau des vaches dont les yeux grouillaient de mouches en dépit des franges des toiles…Lorsque la charrette était pleine on rabattait le mat en bois qui emprisonnait les gerbes
Hue !! Le chargement s’effilochait sur les toupets des cèdres…
IV. l’École
St Pierre d’Irube
Nous étions inscrits à l’école publique mixte de Saint Pierre d’Irube: ma sœur chez Monsieur P., à la place de l’actuel Bureau de Poste, et moi, j’entrais à 6 ans chez Madame H.-actuelle École primaire libre- dont les classes étaient à l’étage côté Presbytère, mais on entrait par le rez-de-chaussée dans le creux de la cour auquel on accédait par un escalier.
Ce creux de la cour et du préau a été comblé. Dans les racines saillantes des platanes d’alors, à la récréation, nous pouvions nous asseoir pour sucer des châtaignes par exemple.
Dans la salle de classe sombre, la Maîtresse avait son bureau sur une estrade. Nos tables formaient des rangées régulières de pupitres doubles avec banc solidaire. Le couvercle du pupitre s’inclinait, sous lequel il y avait un tiroir pour livres et cahiers.
Le haut de nos tables portait une saignée dans laquelle on posait crayon et porte-plume; à droite, c’était le trou de l’encrier de faïence blanche. Le plus souvent, de façon à ne pas tacher le bois d’encre, l’encrier était posé sur un plastic vert percé à la dimension de l’encrier. Madame P. demandait à ses élèves de prévoir un couvercle de boîte à cirage recouvert d’une feuille bien lissée de papier argent du chocolat, que l’élève apportait et posait sur l’encrier par souci d’économie, pour éviter que l’encre ne s’évapore.
Régulièrement, nous devions passer le pain de cire d’abeille sur les pupitres et frotter fort pour faire briller le bois.
Qui dégradait le matériel ou se dissipait recevait, selon l’inspiration du Maître, des coups de règle sur les doigts, une gifle, un tirage d’oreilles ou de cheveux, ou passait à la porte pour une durée indéterminée avec la recommandation d’y rester et de ne pas s’en éloigner.
Le Maître distribuait les plumes « sergent-major » et l’encre. Il écrivait à la craie sur un tableau noir fixé au mur.
Il y avait des odeurs: celle de l’ardoise, de son cadre en bois et du crayon d’ardoise; celle, aigre, de l’éponge dans sa boîte plastique verte-jaune-rose-rouge ou bleue pour nettoyer l’ardoise; celle de l’encre des taches et de la gomme bicolore, bleu-dur pour l’encre, rose-tendre pour le crayon. Nous disposions d’un plumier en bois à plusieurs compartiments pivotants ou d’une trousse en cuir de couleur verte, rouge ou marron, avec des arcs pour loger le matériel d’écriture.
Le baron B. n’avait pas encore vulgarisé le stylo à bille qui nous était interdit car on ne pouvait pas faire les pleins et les déliés comme à la plume, et, de plus, il « bavait ».
Nos cartables classiques en cuir avec poches et soufflets étaient lourds et souvent encombrants, mais tout y était bien classé.
Un grand poêle à bois chauffait la salle de classe.
Mousserolles
L’année suivante Madame H. ayant pris sa retraite, je fus « déménagée » dans les préfabriqués de Mousserolles, dans la classe de filles de Madame M. plus jeune, chargée d’enseigner à des élèves de plusieurs niveaux, du CP au certificat d’études.
La salle de classe était claire et neuve, le mobilier aussi: des tables doubles ou simples au plateau horizontal en bois verni (plus de corvée de cire!) avec tiroir clair et piètement métal en tubes verts associées à des petites chaises individuelles.
On gardait encore la saignée pour crayon et porte-plume, et trou habillé de l’encrier.
Un grand poêle à bois chauffait la salle, et nous participions à l’approvisionnement et au nettoyage.
Ici, pas d’estrade pour la Maîtresse, mais un large bureau comme nos tables, au plateau horizontal en bois verni et piètement métal avec un fauteuil adapté de taille adulte.
Plus moderne, le tableau vert tube pivotait selon les besoins et comportait des ergots pour suspendre les cartes de France.
A la récréation nous sortions dans la cour du haut où le gouvernement nous distribuait du lait sucré avec paille pour le goûter.
Je me souviens du Guignol de fin d’année, dans le bâtiment du Directeur, Monsieur B.
V. les Jeux
de société:
Monopoly / Loto / petits chevaux avec des godets en carton bouilli / Jeu de l’oie / Divers jeux de cartes : belote, bataille, le menteur / les puces / Billes (avec plomb, caniques et agates) / Jokari / cache-cache / les indiens avec confection d’arcs et flèches en troène et corde / construction de cabane en branches et mousses / Jeu de Dames / Jeu d’Échecs
Individuel
Diabolo en caoutchouc / vélo / tricycle / Trottinette avec ou sans pédale / Balançoire avec corde accrochée à la branche d’un arbre et coussin / auto-rameur…/ Recherche de grillon et ramassage des chenilles qu’on mettait dans des boîtes pour qu’elles fassent leur cocon et qu’on puisse voir naître le papillon.
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Petit vocabulaire du langage courant, parfois issu du patois
Avoir du « Gniak » : désirer, en vouloir, se défendre, se battre, développer son affaire…
Bouilli : plat de pot au feu de bœuf, jarret, plat de côte, paleron, avec ses légumes.
Caguenotz : se disait d’un pantalon tombant, ne tenant pas à la taille, pas adapté…
Cascant(e) : sale, d’un vêtement, mais aussi d’une personne.
Chaouchoune : qui fait des manières, qui fait la difficile, qui pinaille.
Chaillat : couleur « chaillat » est criarde, de mauvais goût (origine Allier?).
Chuquer : sucer, téter.
Cligner : regarder à la dérobée, sans être vu.
Clumer : verbe utilisé à cache-cache pour définir l’action de se voiler les yeux afin de ne pas voir où se cachent ceux à rechercher. On clumait en mettant la tête dans les bras croisés sur un mur.
Faire un « Cluc » : s’assoupir; à la sieste, on fait un cluc.
Espantouayre : qui se répand, brocarde, fanfaron, m’as-tu-vu, esbroufe.
Faire le mus : bouder.
Muxurdine : définit l’état de « vieille fille »; c’est une « muxurdine »…
Pas dire « Tuck » :ne rien dire, tant parlé que ressenti.
Tiounetiouline : mollasson, plan-plan.
Tracassière : faiseuse d’histoire.
Trastou : sale, plus d’un vêtement que d’une personne.
Ventrèche : lard roulé à couper en tranche (terme vraiment local).
Yoyes : bijoux de pacotille.
FIN
L’imperméable bien isolant, était une cape à capuche en caoutchouc toilé, sans manche, avec des fentes latérales pour sortir les mains. Le mien était bleu marine; il y en avait aussi des ocre clair et marron. Il avait une odeur spécifique qu’on ne retrouve plus aujourd’hui.
Le terme « lavoir » désignait à fois le bac en béton qui permettait de faire tremper et laver le linge que le bâtiment qui l’abritait.
Bourrier : terme désignant chez nous, le contenant des ordures et le lieu où on allait le vider. Dans le bourrier (lieu) en surplomb de la Nive, nous trouvions des masques à gaz de couleur verte de la guerre, encore dans leur boite.
Pour le repassage, il me revient qu’on repassait sur une table dédiée avec molleton de coton épais couvert d’un drap de finette ou de coton. Pour les cols de chemise, les manches et toutes les parties délicates où il ne devait pas y avoir de faux pli, on avait recours à la « jeannette »: planche de 35 à 40 cm, arrondie à un angle et plus effilée à l’autre, enveloppée de molleton et finette comme la table, montée sur un pied. On enfilait la manche sur la « jeannette » pour la repasser et on la faisait tourner dans un sens et puis l’autre. Cette « jeannette » faisait partie des instruments de repassage, si bien que les premières tables à repasser vendues par la suite dans le commerce l’incluaient.
Il y avait donc la table, les bassines pour l’eau et l’amidon (empois de farine et eau), la « jeannette » et la patte mouille.
Les fers pouvaient être plats et d’autres ressemblaient à des fers à friser en fer pour les arrondis deschemises à jabots