Un épisode du « Grand Cirque »

Par un bel après-midi du mois de Juin 1944 , nous nous régalions de cerises dans le verger de mes parents, à Versailles, quand un grondement sourd en direction de l’ouest m’avertit qu’une fois de plus, des avions alliés allaient nous survoler.
Ils se trouvaient à une altitude particulièrement élevée. On les distinguait comme de petites croix brillantes, par groupes de 14 quadrimoteurs (boxs) qui se succédaient à quelques minutes d’intervalle. Parfois, des vides dans leur formation serrée donnaient à penser que des appareils avaient été abattus.
La DCA allemande se déchaîna et de petits flocons apparurent devant les avions, formant un barrage apparemment infranchissable.
Ils ne déviaient pourtant pas de leur trajectoire.
J’admirais le courage des pilotes…
Un bombardier ne tarda pas à « s’allumer » , puis laissa échapper une traînée jaune et noire qui s’allongea jusqu’à devenir gigantesque. Pendant peut-être une minute,il garda sa ligne de vol . Le temps passait, nous guettions les parachutes. Enfin une corolle apparut sous l’avion. Notre soulagement fut de courte durée: Presqu’aussitôt, elle se transforma en une flamme fugace dont il ne subsista rien… Quelques secondes après, une deuxième corolle s’ouvrit sous l’arrière de l’avion. « Trop tôt » avais-je envie de crier, « tu as ouvert ton parachute trop tôt » ! A nouveau, la petite tache blanche disparut dans une brève flamme.
Pour autant que j’aie pu en juger, cela s’est passé au-dessus de Buc…
Peut-être le feu s’était-il communiqué à l’équipement des malheureux aviateurs avant qu’ils ne puissent quitter l’avion..? Celui-ci continua son vol pendant quelques dizaines de secondes puis largua ses bombes, ce qui semblerait indiquer qu’un homme au moins était encore vivant à bord; puis il se désintégra en morceaux et le ciel redevint vide. J’entendis au loin les explosions sourdes des bombes tombées dans le bois des Gonards.
J’ai pensé: La guerre va être perdue pour les alliés !( C’était avant la percée d’Avranches)
Tous ceux qui se trouvaient au sud-Ouest de la région parisienne à ce moment là ont pu assister à cette tragédie.
Les jours suivants, des événements semblables se renouvelèrent.
J’ai toujours dans les oreilles le ronflement sinistre des moteurs d’un « Libérator » coupé en deux que nous avons vu tomber en tournoyant .L’appareil s’est écrasé dans le bois de Vélizy, juste avant d’atteindre son objectif : l’ aérodrome de Villacoublay. Quelques jours plus tard, nous sommes allés voir ses restes. Ils étaient encore gardés par une sentinelle allemande. Un camarade de mon grand frère, qui habitait à proximité, était arrivé sur les lieux avant même les allemands et avait récupéré les papiers de l’un des membres de l’équipage. Après la libération, il a pris contact avec sa famille, qui l’a invité aux USA.
Une autre fois, j’ai vu un quadrimoteur désemparé au dessus des bois de Meudon. Il a  » semé » dans sa descente 3 ou 4 parachutes . J’ai appris bien plus tard, (grâce à la magie d’internet), que l’un des hommes au moins avait touché le sol sain et sauf, et qu’il avait été aussitôt pris en main par des résistants qui l’avaient prestement habillé en civil et conduit à Paris, peu avant que des patrouilles allemandes encerclent le quartier à sa recherche. Les autres ont été tués; avant ou après avoir atteint le sol, je ne sais. 

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