Efforts pour survivre

La guerre et l’occupation se prolongent, rendant la vie de plus en plus difficile pour la population qui subit la pénurie, malgré les tickets d’alimentation distribués parcimonieusement chaque mois. Seuls quelques favorisés grâce à la puissance de l’argent ou du système D, vivent grassement du marché noir.

Ma mère qui est une femme dynamique, imprégnée de son atavisme de fille de la terre, décide de transformer le jardin d’agrément de ville en un vaste jardin potager.

Nous allons, à l’exemple des « laboureurs » de la Fontaine, tourner et retourner la terre, planter, arroser, mais aussi récolter. Notre jardin devient le plus beau et le plus envié du quartier. Accolé à celui-ci, nous avons un élevage de poules, de lapins et de canards. Cet ensemble va nous permettre de passer les années de guerre en profitant chaque jour de nos légumes, d’une poule ou d’un lapin, un dimanche sur deux. La viande de boucherie étant inabordable pour les petits budgets.

 Cette description est magnifique, pour ne pas dire idyllique. Mais on ne peut passer sous silence les nombreux efforts que nous déployons avec ma mère pour obtenir ce résultat. Plusieurs matinées par semaine, dès six heures du matin, nous effectuons ce travail pénible. Dès l’âge de onze ans jusqu’à ma quinzième année, j’ai aidé ma mère à façonner notre jardin pendant deux heures chaque matin avant de me rendre en classe. Bêcher arroser, porter des centaines de seaux d’eau en la puisant au préalable par une pompe manuelle. Soufflant dans mes doigts les jours de froid ou transpirant à grosses gouttes sous le soleil printanier. Chaque soir, avant de commencer mes devoirs, je dois effectuer ma tournée dans les prairies voisines pour ramasser l’herbe pour les lapins ou les orties pour la nourriture des canards. Quelle joie les jours de pluie de pouvoir bénéficier d’un bon repos !

 En prenant connaissance de ce récit, on peut penser que j’étais un garçon  exceptionnel pour travailler ainsi, avec autant d’ardeur et de vaillance. Que l’on se détrompe ; je dois humblement avouer que je ne me souviens pas d’un seul jour ou j’ai accepté cette corvée sans rechigner, en rouspétant, protestant, revendiquant contre les ordres de ma mère. Mais chaque fois j’ai capitulé, vaincu devant sa volonté et sa détermination.

 Avec celle-ci, nous connaissons durant la même période et pour les mêmes raisons, une expérience particulière. En effet, devant les difficultés rencontrées pour nourrir notre basse-cour, nous décidons dans les années 1941 à 1943,  de partir une fois par quinzaine dès quatre heures du matin, pour nous rendre à bicyclette à la maison du paysan, dans l’espoir d’obtenir trois à cinq kilos de mouture pour nos chères poules. Pendant trois longues heures, nous faisons la queue dans l’attente de l’ouverture du magasin, en pleine nuit, dans le froid ou sous  la pluie, au milieu d’une immense colonne  de gens répartis le long de la rue, qui discutent ou se disputent dans un brouhaha de ruches.

A plusieurs reprises, nous avons connu la déception après une longue attente, en apprenant qu’il  n’y a pas eu d’arrivage ce jour, ou que notre position dans la file d’attente n’est pas favorable pour obtenir un lot. Alors avec tristesse nous reprenons le chemin du retour, dans l’espoir que la semaine suivante la chance serait avec nous.

 Tout cela faisait partie de nos tribulations pour tenter de survivre le mieux possible durant ces années de guerre. Mais ainsi, grâce à nos efforts nous avons eu la chance de manger à notre faim en offrant parfois des légumes et des œufs à quelques voisins pour améliorer leurs maigres menus.

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