Aitatx’in Oroitasuna, Souvenirs de grand-père

Je me prénomme Louixa. Aînée d’une famille de 4 enfants, je suis née le 24 Septembre 1948 à Sare. Je suis mère de 3 enfants et grand-mère de 6 petits enfants.

Mon père s’appelait Joseph, il était né le 14 Août 1914 à Sare, et décédé le 1er Mars 2009 à l’âge de 94 ans. Il était aussi grand-père de 12 petits-enfants, et arrière grand-père de 19 arrière petits-enfants.
Agriculteur de métier, mon père a dû devenir contrebandier pour subvenir aux besoins de la famille, pour payer les études de ses enfants et pour nourrir les animaux de sa propre ferme. Pendant plus de 40 ans, il traversait la frontière espagnole de nuit pour ramener du bétail, des vêtements, des matériaux, ou encore de la nourriture comme les boîtes de sardines qui coûtaient trop cher.
Jamais il n’a fait de contrebande avec de la drogue, car il savait que cela nuisait à la santé et que c’était illégal. Il partait tous les soirs aux environs de 22h, avec de nombreux amis, tous originaires du même village: Sare. « C’était le nid de la contrebande ». « Je n’étais qu’une enfant et je ne savais pas que mon père partait tous les soirs après m’avoir souhaité une bonne nuit et m’avoir embrassée. »
Il était tout le temps accompagné d’une ou plusieurs personnes. Jamais les contrebandiers ont tenté de passer la frontière seuls.
De la ferme où il partait, il pouvait apercevoir dans les montagnes espagnoles un drap blanc, qui lui donnait le départ pour démarrer. Il passait par les sentiers des montagnes de Zugaramurdy, à pied ou à vélo. Ces trajets pouvaient durer des heures, ça dépendait de l’endroit où il allait. Il avait dressé une jument et un âne qui transportaient les marchandises de la contrebande.
Une truie avait aussi été dressée, afin de faciliter la contrebande des porcins. Elle était devant et les porcins la suivaient. «  Il y a encore 20 ans de ça, mon fils aîné participait à la contrebande avec mon père et passait la frontière espagnole avec des pottoks »  .
Souvent, les douaniers l’ont attrapé et lui saisissaient le bétail en guise d’amendes. Il n’a jamais été emprisonné. Pour récupérer les bêtes, un ami de mon père les rachetait aux douaniers pour pouvoir lui revendre à nouveau. « Mais jamais les douaniers n’ont compris la combine ».
Des combines, il en avait plusieurs ! « je me souviens qu’il me demandait à moi ainsi qu’à mes sœurs de cacher les matériaux dans les charrettes de foin ».
Quelquefois, vers 19h, il invitait les douaniers à la maison pour que ma mère, mes sœurs et moi, leur servions un apéritif. «  Ils buvaient du vin rouge, et lorsque la ponte de la journée avait été bonne, nous leur préparions des œufs et du jambon ».
Pendant ce temps, mon père s’éclipsait en douce et partait rejoindre les contrebandiers à la ferme de départ, en attendant de voir le drap blanc s’agitait pour pouvoir enfin démarrer. « Et moi, je devais garder le secret, ne rien dire aux douaniers, je trouvais cela drôle, comme si c’était un jeu amusant! »
Il lui est même arrivé de venir à pied de Sare jusqu’à la Négresse (Biarritz), avec ses marchandises . « Souvent en rentrant, il était très fatigué et donc ma mère, mes sœurs et moi, nous nous occupions de nourrir le bétail et de faire la traite à la main. » « Ma mère m’avait expliqué que mon père allait en Espagne chercher des bêtes et qu’il fallait l’aider à la ferme avant d’aller à l’école le matin, cela me paraissait normal. »
Il a dû interrompre la contrebande pendant la seconde guerre mondiale, car il était prisonnier de guerre en Allemagne.
Comme beaucoup d’autres agriculteurs, il était obligé de travailler dans les fermes allemandes (Service de Travail Forcé). Mais là aussi, il rusait: « Il m’avait expliqué que lorsqu’il emmenait le beurre aux chefs, il en piquait, mais toujours une rangée entière pour que les chefs ne s’en aperçoivent pas. » En 1944, il a repris la contrebande jusqu’en 1988. Mais en vieillissant, cette activité devenait de plus en plus fatigante et contraignante pour ses 74 ans. Étant encore très jeune à cette époque de sa vie, je ne me rendais pas vraiment compte de ce qu’il faisait. « J’ai entre autre participé un peu à la contrebande ». Il n’a certainement pas eu le temps de tout me raconter, ou bien il ne se rappelait peut-être plus de tout ce qu’il a vécu en tant que contrebandier. Mais moi, ce dont il m’a parlé, et ce dont je me souviens, j’en témoigne avec grand plaisir, pour faire vivre sa mémoire, et pour que mes enfants, mes petits-enfants, et mes futurs arrières petits-enfants en prennent connaissance. « C’est un peu grâce à lui et à la contrebande que ma famille et moi, nous n’avons jamais manqué de rien. »

 

 

melanie1

 

 

 

 

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