Mobilisé pendant la guerre de 14-18, mon grand-père écrivait tous les jours à Ernestine, qui devait devenir ma grand-mère.
Voici ce qu’il écrivait, en spirale, sur l’une d’entre elles :
Samedi 26 octobre 1918
Ma fiancée chérie,
Aujourd’hui le temps n’est pas très beau de sorte que je n’ai pas fait de sortie au grand air, c’est pourquoi la journée me semble plus longue que d’habitude et je cherche à passer le temps. Hier nous sommes allés à la pêche à la ligne, inutile de te dire que je n’y entends rien et sans doute que le poisson l’a bien reconnu car nous n’avons rien pris. Je crois même que les truites me regardaient d’un air moqueur, elles avaient bien raison et maintenant je laisserai la pêche à d’autres qui sont du métier.
Pas de lettres aujourd’hui, aucunes de celles qui sont passées à ma compagnie ne m’est encore revenue, enfin cela m’inquiète peu puisque maintenant j’ai des nouvelles plus fraîches. Un de mes camarades m’écrit que le régiment est au repos pour quelques jours, il me semble que c’est mérité ; depuis un mois que cette vie dure ; quoique ce repos soit agréable, je préfère encore celui qui m’est accordé ici et je pense qu’il durera plus longtemps. Je ne peux rien te dire au sujet de ma sortie car le major ne m’en a pas encore parlé donc ce ne doit pas être avant vendredi au plus tôt, car ceux qui doivent sortir mardi prochain sont déjà avertis.
Tu m’as dit dans ta lettre que tu ne trouvais pas le temps long à m’attendre, c’est tant mieux, pourtant si ce n’était qu’après la permission il faudra reprendre la vie militaire, je crois que tous deux serions du même avis et qu’il me faudrait arriver au plus vite. Tous ces temps on regarde avidemment les journaux comme si d’un jour à l’autre la paix devait être faite ; mais il me semble que cela va moins bien qu’on ne le désire et on pourrait attendre encore longtemps. Mieux vaut ne pas trop y songer et attendre patiemment et avec confiance, que cela finira dans de bonnes conditions.
Dans l’attente, j’espère que vingt jours de permission nous permettront de passer quelques bons instants ensemble, où nous pourrons échanger de doux baisers. Sans mon entrée ici demain je serais près de toi mais la perm. serait déjà bien avancée, on ne perdra pas pour attendre. Je te quitte en te disant bonne nuit et au revoir, reçois ma pensée et deux bons baisers, je t’aime tendrement.
Lucien
Selon mon oncle son père se trouvait en repos à Poligny avec d’autres soldats , un repos octroyé en temps de guerre dans des conditions difficiles ; heureusement il n’avait jamais été blessé mais avait vu souffrir et mourir de nombreux camarades dans les tranchées . Très affecté il parlait peu de cette triste période en famille .